À propos de mon épicurisme
par Philippe David Gagné
Durant ce mois d’avril, je partagerai ici quelques « à propos » que je trouve à propos (eh boboy, ça commence mal). Vous pourrez donc, entre un trop plein de mauvais chocolat et la proverbiale tempête des poteaux, vous inspirer de quelques anodines observations parfois pleines de génies mais, probablement, le plus souvent, insipides, et trop pleines d’adverbes, et de virgules. Premier sujet : le manger.
« He used a razor, and he used to slice it so thin that it would liquefy in the pan with just a little oil. »
J’aime la chère. La bouffe. Le bon manger. Je suis du genre à me taper, sans vergogne aucune, et en une soirée, une saison complète de « Chef’s table » en passant une boîte de Mini-Wheat (je suis un homme de contradictions), le tout habillé en mou. Je crois que le terme technique est « loque humaine ». Mais j’aime tout autant faire à manger, aller au restaurant. Et l’un des grands malheurs d’habiter DANS LES RÉGIONS est l’offre de restaurants : c’est triste et tu fais le tour assez vite. C’est ben le fun pendant REGARD un pizza-ghetti chez Georges, mais cibole, une fois par saison, c’est pas mal le top.
Ainsi, quand l’angoisse existentielle du cinéaste me prend, quand le découragement du réalisateur de région s’empare de moi et que je rêve d’effacer tout LE CINÉMA de mon ordinateur (oui oui, même les documents WORD vide que c’est juste un titre que tu trouvais cool), dans ces cas-là, je rêvasse habituellement d’ouvrir une bucolique boulangerie où je ferais mes propres charcuteries, où mes beignes maison feraient l’envie de tous et où mes seules errances artistiques seraient un slam semi-poche une fois par mois. C’est donc normal que la vue de bouffe à l’écran me fasse un puissant effet. Voici donc quelques incarnations du manger au cinéma (au sens ben ben large, chose, les nerfs) qui forme la constellation de mon fétiche gastronomique. Ou qui sont tout simplement juste du gros bon cinéma avec des frites.
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L’ail coupé au rasoir dans Goodfellas par Martin Scorcese
De voir de l’ail traité avec autant de respect, autant de passion, a suscité immédiatement deux choses chez moi. De un, un puissant amour de la cuisine italienne (mon fétiche de meatballs persiste encore aujourd’hui) mais aussi l’automatique absolution des comportements criminels des mafiosi emprisonnés du film. Pour moi, la suite du film montrait de bons vivants, amoureux de la chère tout comme moi, injustement victime d’acharnement policier. Qui aurait cru que la vue de tranches presque transparentes de ce bulbe fuckerait le prisme de ma perception du système judiciaire ?
Ironiquement, ciboulot que je digère mal ça, de l’ail.
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La scène de souper de 4 mois, 3 semaines et 2 jours par Cristian Mungiu
Uniquement pour sa scène de souper, en un seul plan fixe pendant plus de sept minutes, ce grand film méritait la palme d’or qu’il remporta en 2007. Rarement a-t-on vu une subjectivité aussi forte, dans un déluge de conversations anodines (ou pas), plaçant avec génie le contexte social et politique du film. La tension est tenue de bout en bout par le jeu minimaliste de Anamaria Marinca. Meilleur scène de repas du monde, même si la bouffe y tient un rôle tertiaire.
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« La viande » dans Astérix et autres « Il était une fois l’homme »
Dans les dessins animés, la facilité avec laquelle les personnages détachent la viande de l’os a créé, pour moi, une fumisterie sans nom. Jeune enfant, j’étais ainsi convaincu que de dévorer un morceau de viande se ferait sans résistance aucune, que le goût serait divin, que l’expérience serait parfaite. Mais la réalité me rattrapa rapidement : la viande dure, remplie de nerfs, parfois d’os. Manger un morceau de viande en le faisant tourner rapidement ne serait jamais une réalité. Quand l’appétit va tout va ? Vraiment ? Uderzo et Goscinny, deux grosses agasses. Une des premières grandes déceptions de ma vie.
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Oldboy par Park Chan-Wook
« Je veux manger quelque chose de vivant »
L’incarnation de mon angoisse de l’étouffement. En fait, le film lui-même est une étude de l’étouffement, à tout point de vue. Spike Lee, lui, n’a même pas inclus cette scène dans son inutile remake : il est définitivement devenu un pleutre.
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Festen par Thomas Vinterberg
Le premier (et un des plus probants) Dogme95, un film à propos d’un repas qui coupe l’appétit. Une entrée de célébration avec pas mal de sides de malaises.
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Autres mentions honorables :
Les meatballs dans The Wedding Singer par le réputé Frank Coraci
Parce que. Des. Meatballs.
La scène de frigo de 9 and a half weeks par Adrian Lyne
Je n’ai absolument aucun fétiche sexuel mettant en vedette la nourriture. Je considère que la bouffe et le sexe sont des plus appréciables lorsque séparés. Mais, on se doit d’avouer que, en théorie, et surtout au cinéma, ça semble fabuleux.
On ne peut passer sous silence la reprise de cette scène dans « Hot Shots !», avec Topper et Ramada :
Ça surpasse presque l’original.
La grande bouffe par Marco Ferreri
Je mets un lien en allemand, l’image compressée en 4:3 pour souligner que l’intérêt réel de ce film réside dans sa prémisse, sorte d’objectif de vie. Manger jusqu’à en mourir. Entre ça et mourir dans mon sommeil, le choix est facile.
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Et ceux coupés au montage mais dignes de mention:
The Cook, The Thief, His Wife, and Her Lover parce que j’aimerais avoir l’attitude de Michael Gambon avec les serveurs.
Le festin de Babette, j’me rappelle fuck all du film mais il y a festin dans le titre, faque… The Trip, la bouffe est bonne, Steve Coogan est meilleur.
Le sandwich dans Spanglish est délicieux, le film un peu moins.
Les grilled cheese dans Benny and Joon.
Les sandwich with dipping sauce dans 30 rock. Parce que Tina Fey.
Et Supersize me, qui m’ouvre toujours l’appétit.
3 avril 2017