À propos des choses qui ne me gossent pas (édition boléro)
par Philippe David Gagné
Je ne pouvais pas terminer ce titulariat mensuel du blogue de 24 Images sur une note en demi-teinte. Je fais donc entrave à mon pessimiste naturel, à ma misanthropie grimpante, et je clos par un billet d’une luminance n’ayant d’égale mille soleils, vous laissant avec un phosphène de bons sentiments. Je m’inspirerai donc du plus grand rôle au cinéma de Dudley Moore (et l’émergence de la sirène Bo Derek), « 10 ». Voici donc Dix choses que j’aime du cinéma, au sens très large. Soyez averti, mon côté lover ressort un tantinet ici. Sur trame de fond du Bolero de Ravel avec course au ralenti sur la plage.
1- Être seul dans une salle de cinéma. Je ne sais pas si c’est le sentiment d’être sur un tracé parallèle de la vie normale, ou juste le fait d’être en tête à tête avec « le cinéma », mais un sentiment de jubilation quasi monastique s’empare de moi quand je me retrouve seul dans une salle de cinéma. Malgré toutes mes envies de violence envers ceux qui parlent ou les mauvais films, le cinéma reste pour moi un temple et je suis un fidèle croyant. Et de se retrouver ainsi seul, face à Dieu, on se sent en dialogue direct avec « le cinéma ». En vieillissant, je suis un peu plus ouvert et je retire aussi maintenant du plaisir à être accompagné de ma fille ou de ma femme. On évolue, faut croire.
2- Les festivals de films. Autant les interactions sociales peuvent me rendre asperger, autant on fait de fantastiques rencontres en festival. Plein d’humains qui ont la même passion que toi, ce n’est pas rien. C’est le sentiment de faire parti d’une grande famille ; ça m’émeut presque. Il y a aussi le sentiment de voir un film pour la première fois, de le découvrir en même temps qu’une salle bondée. Un de mes souvenirs marquant, c’est d’avoir vu la première mondiale de « La vie d’Adèle », sans rien connaître du film. Ce fut trois heures magistrales, où on sentait l’électricité dans la salle. Nous savions, la salle et moi, à la tombée du rideau, que nous avions vu un grand film. Et de voir les gens masquer leur relents d’érections fut tout aussi mémorable.
Photo de mon équipe en plein tournage de « DESTRIER » – 2017
3- Le chaos. Un tournage, c’est comme un accident d’autobus au ralenti. Tu contrôles ce que tu peux pis t’espères que personne ne meure. C’est un peu, aussi, une guerre : contre le temps, contre l’argent, contre toi-même. Au moins, t’es pas tout seul. Et il y a de quoi de magique à voir un bataillon s’affairer comme des débiles à faire une vue que t’as écrite. C’est surréel. Ça booste l’égo, mais ça rend humble aussi. Ça montre bien que le cinéma, c’est l’art le plus lourd, celui qui demande le plus d’aide, le plus de gens. Mais en même temps, même si t’es entouré de 40 personnes qui se dévouent à mettre ta vision en images, c’est aussi dans ces moments-là qu’on se sent le plus seul au monde. Quand c’est toi qui prends l’ultime décision. Plutôt bipolaire comme travail. Mais c’est dans ces moments-là, cette fébrilité-là qu’on sent qu’on est en train de créer de quoi, une molécule de cinéma, qui fait du sens, qui sort du chaos. Qui réussit à s’échapper de l’autobus avant qu’elle prenne feu.
4- Les femmes au cinéma. Je dois l’avouer, je suis souvent tombé amoureux au cinéma. Que ce soit Fanny Lauzier (est née dans l’eau), Audrey Hepburn (les belles actrices mortes me rendent tristes), Natalie Portman (dans pas mal tout, sauf Your Highness), un des côtés magique des films, c’est bien de tomber un peu en amour sur 90 minutes. La capacité de l’humain à se projeter dans une œuvre n’est jamais aussi forte que dans ces moments-là.
Que celui qui ne trouve pas « La Grenouille et la Baleine » plein de sous-entendus me lance la première étoile de mer, crime.
4- La première d’un film. Je suis toujours excité de lancer un film pour la première fois, mais pas pour les raisons que vous pensez. Quand je lance un film, ou une série documentaire, je suis juste content de m’en débarrasser. Je suis libéré. Parce qu’après avoir écrit, tourné et monté quelque chose, je ne l’aime plus vraiment. Bon, je vais toujours l’aimer un peu, mais je suis juste content de le voir partir de la maison. Parce qu’une fois qu’un film est terminé, j’ai un réel sentiment de détachement : il ne m’appartient plus et le prochain projet est franchement plus excitant que celui-là, avec tous ses défauts qui ressortent, qui restent là, comme des cicatrices. Parce que les bons côtés, on les connaît, ils fonctionnent ; donc, on les oublie. Les mauvais, ils te regardent, avec leurs yeux croches et leur bave qui coule au coin de la bouche, juste pour te rappeler que c’est de ta faute si ils ont manqué d’oxygène à la naissance.
5- Les bandes-annonces. Ça vient probablement de ces années où le cinéma et le club vidéo étaient mes seuls amis (#adolescentloserpasdamis), mais j’aime profondément les bandes-annonces. Probablement parce qu’elles annoncent un avenir meilleur, où tous les films ont l’air « vraiment bons ! ». C’est l’équivalent de la page FB de quelqu’un que t’as jamais rencontré mais qui te add : crime que sa vie a l’air malade, ses partys le fun, ses amis éduqués et intéressants. Mais une fois que tu le rencontres en vrai, ça paraît clairement qu’il rush autant que toi pour vivre. Mais pendant un bref instant, c’est parfait, comme les bandes-annonces. On peut pas vraiment leur en vouloir d’être meilleur que le film, la plupart du temps. Comme tu peux pas en vouloir aux gens de ne pas mettre leurs photos d’eux en camisoles avec une moustache de jus de raisin sur FB.
6- Rouyn-Noranda. Ville de minerai, ville de cinéma, ville de l’amour. C’est lors d’une escapade au réputé festival du documenteur de Loin-Noranda (oh que c’est pas drôle) que j’ai rencontré la femme de ma vie, celle avec qui je partage ma vie et Béatrice, une petite fille presque parfaite (à part son d’attitude de marde (elle tient ça de moi)). Tout ça, à cause du cinéma. Le fait qu’elle ressemble à Natalie Portman n’a aussi pas dû nuire. Pour y avoir habité quelques années, Rouyn est une ville qui aime son cinéma plus qu’ailleurs ; elle aime ses festivals de films et a un histoire riche, ayant eu à une certaine époque 2800 sièges de cinéma pour une population de 22 000 habitants. Fou. Malheureusement, lorsque j’y ai habité, il ne restait que le cinéma Paramount, où j’ai sacré après bien des mal-élevés.
Basé sur une histoire vraie.
7- Le popcorn. C’est peut-être que j’ai un gouffre émotif à remplir. Ou que le cinéma représente tous mes traumas d’enfances, mais j’ai, depuis tout petit, une relation amour/amour avec le popcorn. Même si je sors de table, je termine mon sac. Souvent en fait, je prévois de manger léger (ou ne pas manger du tout) pour pouvoir me goinfrer de popcorn, au cinéma ou à la maison. Je possède d’ailleurs toujours la machine à popcorn que mon père a acheté dans les années 80, et elle fonctionne comme une neuve. Obsolescence progra-quoi ? Je crois même que cette machine est la seule chose qui me reste de mon enfance. Fuck les albums souvenirs, les photos ça se mange pas avec du beurre.
8- L’écriture. C’est un plaisir que je me suis découvert, écrire des scénarios. Parce que je trouve que c’est un art fantastique, une technique complexe et vivante, qui se moule à celui qui l’applique. Reconnaître la touche d’un scénariste, d’un grand, c’est l’impression de voir un film aux rayons X, d’entrer réellement en communication avec l’auteur. Plusieurs fois, j’ai été renversé par un travail scénaristique, et je crois que c’est la chose qui a le plus défini ce que je veux faire/dire/montrer avec le cinéma. Et c’est à ce moment de la création qu’on met le plus de soi-même. Un seul exemple : Charlie Kaufman. Quel univers fantastique. Adaptation restera toujours mon scénario préféré. Drôle, intelligent, absurde, critique, humain : un accomplissement monstrueux, névrotique et fractal presque. Et le film distille à merveille le processus créatif au sens large, cette sensation de toucher au génie une minute, et à la désillusion la plus totale la suivante. Et c’est aussi la chose qui fait que je ne pourrai jamais détester complètement Nic Cage.
9- Je connais rien. Je ne saurai jamais vraiment comment faire du cinéma. Pas complètement. Et c’est pas le but non plus. Comme bien des choses, faire des films, c’est un gros mélange pas clair de travail, de talent et de chance, sans trop savoir lequel à préséance sur les autres (bien souvent, c’est la chance). Faire des films, c’est de la théorie appliquée, c’est ce que tu t’imaginais qui marchait sur papier, transféré sur un plateau ou la moitié marche pas et qui, transféré en montage, te fait douter à ta capacité à écrire une seule ligne qui fait du sens. Et je crois que cet état constant d’ignorance et d’apprentissage est la chose qui me fait aimer ça. Le sentiment de toujours s’auto-actualiser, la permission de se planter et de rebondir. C’est vraiment lorsqu’on s’avoue qu’on ne connaît rien qu’on saisit pleinement l’ampleur de ce qui est devant, de toutes les possibilités : c’est vertigineux. Ça angoisse et ça libère. Et j’haïs ça, des fois. Mais, le plus souvent, j’aime ça.
10- Ça me redonne mon humanité. J’avoue, je pleure des fois dans les films. Surtout les animaux et les trucs père-fils. J’ai du manquer d’amour, j’crée ben. Mais moi, un animal qui meurt, peu importe ce que t’en dit, ça me touche. « C’est pas de sa faute, c’est juste un pitou. » Ben oui, c’est sur, c’est de la manipulation pure et simple de spectateurs faire mourir un animal qui a rien fait à part être cute, mais crime, même pleinement conscient de ce procédé-là, ça réussit à me donner le moton. Faut donc que le medium soit puissant en tabarouette pour contourner tous mes mécanismes de « c’est-d’la-marde » et réussir à me toucher. C’est un peu ironique, cette capacité qu’a le cinéma à nous faire emphatiser, à nous faire nous dire « cibole, je suis dont un bel humain, finalement » lorsqu’on est touché dans un film, et nous faire lever le nez sur un itinérant dès qu’on sort du cinéma, plein de restants de popcorn sur notre gilet. Une belle ironie.
* * *
Voici donc la fin pour moi. J’ai étonnamment apprécié « bloguer » ici, vous partager ces petits écarts de conduite et opinions diverses. J’espère que vous avez également aimé. Sinon, bien, vous pourrez venir me jaser de la météo si vous me croisez dans un festival, ça sera une belle punition.
Photo d’en-tête : Dudley Moore dans son moment le plus glorieux.
3 mai 2017