À propos du cinéma de(s) région(s)
par Philippe David Gagné
Je suis un cinéaste de région. Auto-proclamé, évidemment. Parce que personne ne nous appelle comme ça. Pas dans notre face, en tout cas. Mais bon, c’est mon titre et je le porte habituellement fièrement. Une fois sur deux, mettons, la fierté. Je dis ça parce que j’ai l’impression que, pour certains, ça a parfois (souvent ?) une connotation négative, amoindrie, réduite ; bref, des fois, j’ai l’impression que ça fait pauvre, être cinéaste de région. Ça fait gars-qui-filme-des-champs, ça fait dude-qui-fait-des-films-sur-la-pêche-blanche (oups). Mais, bien souvent, quand je filme mon champ vide, mon rang de garnottes ou mon pêcheur-chemise-carreautée, j’me dis, de façon très suffisante et hautaine, que c’est peut-être bien ça, le vrai cinéma. Que c’est un peu ça, la vérité. Que si je me fourre dans la bouette en allant filmer de quoi ben je suis un peu comme Herzog dans l’Amazonie, qui se calisse du reste. Pis des fois non. Des fois, je me trouve bien loin du « milieu », de ceux qui peuvent se permettre de faire du cinéma sur une gosse, à cause de la gear, à cause des amis. Des fois, je suis en maudit contre des clients qui sont contents de te dire qu’ils ont 500$ pour une pub. Ici, dans la région éloignée, faire du cinéma, ça coûte cher. Plus cher. Région-ressource mon cul. C’est pas avec de l’aluminium que je vais faire une vue, cibole.
Mais crime, faire du cinéma ici, c’est plus facile aussi. C’est familial. Ce sont tes oncles et tes cousins qui te prêtent un chalet, un skidoo ou un pickup. C’est du monde que tu connais fuckall qui te prête leur cabane à pêche. C’est du monde trop content de t’aider. Pis de participer un peu à quelque chose « qui va-tu passer à Regard ? ». On espère, Monsieur. Vous viendrez !
Une des phrases que je répète le plus souvent, c’est : « faire du cinéma en région, c’est un choix politique ». Ça a l’air fucking lourd comme statement, ça se prend au sérieux en ti-péché mais, crime, j’pense c’est vrai. C’est une façon d’occuper le territoire, de montrer le terroir. Que ce soit refaire Maria Chapdelaine ou ben un film d’anticipation à Arvida, c’est notre territoire et si personne le met dans les cinémas, ben on l’oublie. En tant que peuple, on l’oublie. Et ce n’est pas une question d’être « contre Montréal ». Nenon. Montréal peut faire autant de films qu’elle veut. On veut juste pouvoir en faire une couple de notre bord aussi, c’est tout. Et comme on n’a pas les infrastructures de la « grand ville », comme dirait un mononcle, c’est moins simple, mettons. Parce que c’est pas seulement une question d’équité, de parité, c’est une question de magnifier ce qui nous représente, nos paysages, notre tissu social, d’où on vient pis où on va. Parce que c’est beau, parce que c’est nous, parce que c’est vrai. Pas vrai comme TVA. Vrai tout court. Et c’est un choix politique parce que, si ce ne sont pas les cinéastes de région qui décident de la faire, personne va le faire.
J’ai l’air fâché, vite de même, politique pis tout pis tout, mais non, je l’suis pas. Mais comme je suis d’un naturel plutôt cynique, ça fait du bien, une fois de temps en temps, d’écrire ce que je pense sans détour. Parce que ceux qui me connaissent savent bien que, sous mes nombreux costumes faites d’ironie et de second degré, je suis presqu’un humain hyper-sensible, véritable diapason de chair s’émouvant devant la beauté des choses et des humains. C’est juste que ma face le sait pas trop. Pas sur les photos, en tout cas. Ça me touche particulièrement parce qu’un des principaux pans de ma démarche artistique tourne autour du concept de vérité versus celui d’authenticité. Et, quand je filme du territoire, en fiction ou en documentaire, je sens que ça se rapproche plus de l’authenticité. C’est peut-être à cause de la façon, ou l’attitude, je sais pas. Parce que c’est pas un pari gagné d’avance la vérité et l’authenticité au cinéma. S’il y a un art menteur, c’est bien le cinéma, qui réussit quand même à nous faire suspendre notre doute, l’espace d’une heure et demie. Des fois.
Mais qui dit « cinéma de région » dit « public de région ». Celui qui va voir Adam Sandler en version française pis qui aime ça. Celui qui n’est pas déçu de pas avoir un film indépendant américain ou roumain à l’affiche dans son Saguenay. Et c’est parfaitement normal. C’est facile de juger mais je peux affirmer que c’est dans ces dites régions que les salles de festivals de film sont les plus pleines. Pleines pour vrai. Suffit d’aller à Regard le jeudi après-midi ou le dimanche matin. D’aller à Rouyn, dans les salles pleines en milieu semaine, parce que les habitués ont pris leur vacances pour « leur » festival. Ou bedon Rimouski. Ou Sept-Îles. Peut-être bien que ça, c’est quelque chose d’encourageant aussi. Que les régions qu’on veut tant montrer, elles veulent aller se voir, et aller voir toutes les autres régions du monde qui leurs ressemblent tellement pas qu’elles leur ressemblent un peu, finalement. C’est Gide qui disait que c’est en étant le plus particulier qu’on est le plus universel, donc si t’es touché par l’histoire d’un enfant turc qui boite, le même enfant turc qui boite va peut-être ben brailler aussi sur l’histoire d’un bonhomme qui pêche tout seul. Mic drop.
Crédit photo (en-tête) : Bernard Gagné
27 avril 2017