Assurez-vous d’être en colère contre quelque chose quand vous tournez
par Jean-François Lesage
Pour le blogue de 24 images du mois de mai, j’ai décidé de mener une petite enquête : quels sont les aphorismes, les citations, les fragments de sagesse qui habitent le processus créatif des cinéastes et des artisans, artisanes du cinéma ? J’en ai contacté une quarantaine. Certains ont puisé dans le journal de leurs propres pensées sur le métier, d’autres nous livrent des joyaux venant d’artistes, de philosophes ou d’illustres anonymes. Voici ce que j’ai recueilli.
PS : désolé chers lecteurs, chères lectrices, je n’ai pas traduit toutes les citations en anglais. Je ne voulais pas m’aventurer dans une traduction approximative de Lord Byron, Charles Bukowski ou Virginia Woolf.
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Denis Côté
L’important n’est pas de tout savoir mais bien de savoir où tout trouver.
Je ne sais plus si cette phrase vient de Nuri Bilge Ceylan qui l’avait volé à un autre pour les besoins d’un entretien mais bon, on s’en fout. Elle est restée.
Assurez-vous d’être insatisfait voire en colère contre quelque chose quand vous écrivez ou tournez. N’importe quoi, votre famille, votre gouvernement, Dieu, votre voisin, votre garde-robe.
Une petite grenade que je dégoupille à l’occasion pour effrayer les bons élèves dans les cours de cinéma.
Image : entre deux prises sur le tournage de Répertoire des villes disparues, le prochain film de Denis. Une adaptation du premier roman de Laurence Olivier.
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Matthew Rankin
Réaliser un film est, à mon expérience en tout cas, un geste qui se fait quelque part entre l’utopie et le slapstick.
Il y a une longue liste d’aphorismes cyniques à propos des douleurs du « geste cinématographique » et mon préféré demeure celui de Guy Maddin :
Filmmaking is like sex: more fun to fantasize about than do.
Lorsque je me trouve devant deux options, une qui est périlleuse où je cours le risque d’échec et de honte et d’humiliation et l’autre qui est facile et sécuritaire où je connais déjà la recette, je pense souvent à la question de Gertrude Stein :
If it CAN be done, why do it?
Mais dans mon travail de tous les jours, que la journée soit sublime ou ridicule, je fais mon mieux de suivre la devise de Henry James :
Try to be one of those on whom nothing is lost.
L’image est tirée du prochain long métrage de Matthew, The 20th Century (Voyelles Films). J’ai un scoop : vous pourrez voir Annie St-Pierre (vous pouvez lire ici sa participation à mon blogue) dans le rôle de Joseph-Israël Tarte!
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Laurence Olivier
Bien qu’elle ne soit pas originale, la fameuse formule « Show, don’t tell » est celle qui me guide à toutes les étapes de la création. Elle est souvent attribuée à l’écrivain Henry James, parfois à Anton Tchekhov ou à d’autres auteurs réputés pour leur concision et pour l’efficacité brute de leurs textes. J’aime ce que cette phrase suggère sur le pouvoir du non-dit : au-delà de ce qui est écrit, prononcé ou montré, il y a une histoire qui se profile en dessous des mots, dans les silences, entre les images. Ce qu’on tait d’une histoire est plus important que ce qu’on en dit. Cette maxime permet d’éviter la chose qui m’irrite le plus dans les films ou dans les livres, tous genres confondus : l’explication. Celle-ci referme l’œuvre au lieu de l’ouvrir.
L’image de couverture est tirée du court métrage de Laurence, L’hiver le plus doux
25 mai 2018