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Cinéastes Invités

Balbutiements du quotidien d’un cinéphile

par François Blouin

Balbutiements du quotidien d’un cinéphile

Montréal, sortie du cinéma Beaubien
En soirée, le dimanche 4 novembre 2018,
après Notre (mon) été avec André  de Claude Fournier.

Je commence l’écriture de ce blog avec une entrée simple: je viens de voir le documentaire sur André Brassard dans l’intime et sympathique salle #4 du cinéma Beaubien. Je suis touché. Touché d’être dans une ville relativement paisible ce soir, d’avoir le temps et les moyens d’aller voir un film qui ouvre une fenêtre sur un créateur riche et mystérieux. Le plaisir que j’aurai à voir le film est probablement doublé à cause des dimensions « intimes » de la salle qui me donnent l’impression d’être assis « drett’ dans » le salon du dramaturge. C’est d’ailleurs toujours un plaisir de voir un film dans une petite salle lorsque ce n’est pas au cinéma Impérial qui a le pouvoir de me faire sentir dans une mini salle alors qu’elle est grandiose, mais bref j’adore ça… c’est dit… et l’apparition de nouvelles salles en ville a de quoi me mettre de bonne humeur pour un bout ! (Cinéma Moderne sur St-Lau, Salle du musée et mon propre salon depuis peu, c’est seulement pour 3 spectateurs mais tout de même… ).

Bref, je suis touché par ce sympathique et rugueux André Brassard qui nous parle en direct de son appartement rempli de DVD. C’est drôle, pas plus tard que cet après-midi, une amie était chez moi et je m’inquiétais de ma collection de DVDs me disant que ça prenait peut-être trop de place, que j’évitais de les ranger dans des cartables, craignant maladivement de les endommager, rajoutant aussi, qu’en fait, j’adorais regardé des pochettes de films. C’est peut-être ( c’était ) une des activités que j’ai préféré jusqu’à ce que le vidéotron sur Parc ferme, puis celui de Mont-royal l’an passé, je ne parle pas de la Boîte noire, c’est déjà de l’ordre du monde des anciens, du vieux classique oublié…

Bref jamais dans un documentaire je n’ai vu autant de DVD dans des bibliothèques et ça m’instruit sur l’homme, le cinéphile qu’est Brassard, probablement tout autant que sa consommation de Coca-cola ainsi que la présence de ses figurines de Tournesol, Tintin et des personnages verts obèses dont je ne connais pas leur nom. Des personnages l’entourent. Bref, je suis touché parce que je vois un homme qui semble avoir vécu selon ses pulsions/désirs/passions et qui est là, devant nous, à nous dire sa vie, ses souvenirs et à continuer d’incarner cette vitalité dont j’avais entendu parler par plein de monde (ses étudiants / ses collègues). C’est un film rencontre.

C’est un film qui ressemble à un après-midi au salon avec un artiste qui ne connait pas le vernis mortifère du « politically correct ». Ça fait du bien par un dimanche où l’heure s’est permise de reculer hier soir et où l’on retrouve cet étrange sentiment qui nous fait serrer les épaules face à l’hiver qui approche. Je pense à lui, à cet homme chez lui, présentement; le générique nous apprend qu’il vit toujours dans le coin, je me demande s’il regarde ce soir un de ces films vus dans les étagères. Wag the dog ? Qui m’apparaissait à l’époque comme un documentaire sur la talentueuse manie de mentir en racontant des histoires, quelle performance de Dustin Hoffman dans ce film où de toute évidence l’acteur prenait plaisir à jouer au producteur qui cherche l’artiste en lui. Quoi d’autre… Hum…

Une pochette de X-Man au travers d’une tonne de films série-B. Before the Devil Knows You’re dead ? Ça me rappelle le documentaire récemment vu sur Philip Seymour Hoffman, mort seul, bête de scène tout autant que « bête de champ » au cinéma, quelque chose me ramène à Brassard, cette… Cette présence qui brûle d’en dedans… Quelque chose de « densément brûlant ». Tant de films sur ses murs d’ailleurs beaucoup plus que des livres au final.

Pour dire un mot sur le film lui-même, je dois dire que j’ai passé une partie du visionnement à m’amuser à recréer l’appartement de Brassard dans ma tête. Le film est construit à partir de beaucoup d’entrevues mélangées les unes aux autres, mash-up de courtes phrases parfois, évitant probablement des moments où le metteur en scène cherche ses mots ou prend une pause, s’endort peut-être, mais je pense que j’aurais bien aimé pouvoir vivre ces temps avec lui, de pouvoir encore plus vivre avec son rythme à lui. Magnifique moment d’ailleurs où Claude Fournier le pousse à parler d’amour entre autres moments. Je pense aussi au moment où Brassard détaille les deux principales fonctions de la parole selon lui: exprimer et communiquer. Son exemple du coup de marteau sur les doigts pour expliquer est limpide dans le film (vous irez voir le film pour entendre le clou de l’anecdote… ). Bref les silences en sa présence m’ont manqué, j’en aurais pris plus, mais peut-être que je peux tout aussi bien les imaginer en m’assoyant dans mon appartement, devant mes armoires de DVD et voir ce qu’ils me racontent de moi, de mon époque.

Cut to:

Les raviolis Chez Roger sont très bons, même rendus tièdes si on les a fait attendre en écrivant une page de blogue au plus vite, pour ne pas perdre le sentiment laissé par le film que l’on vient de voir. Parlant de ne pas perdre une idée… Avant le documentaire au cinéma, il y avait une bien étrange publicité à propos du resto où je suis présentement assis. Mettant en scène un couple qui se demande s’ils mangeront avant ou après le film avec une forme de sous texte à peine subtil de partie de jambes en l’air, ou alors c’est moi qui a l’esprit tordu, c’est fort probable aussi, l’un n’empêche pas l’autre, même que parfois ça s’amplifie, bref j’étais assez subjugué par le ton de la publicité et bien franchement je pense que Roger et le cinéma Beaubien devraient en faire une suite avec d’autres personnages ou d’autres situations, pas que je l’ai trouvé vraiment efficace, et ce n’est pas à cause d’elle que je sois ici en train de manger ce ravioli, mais c’était d’une inquiétante étrangeté. Une amie croisée par hasard dans la salle, une ancienne étudiante de Brassard d’ailleurs, m’a confirmé que c’était en effet étrange, peut-être qu’elle a l’esprit aussi tordu que le mien ou alors c’était bel et bien étrange. Mais bon la publicité c’est étrange en général, ni bon, ni mauvais, étrange. Mais bon, pourquoi pas. La pub du lait aussi était étrangement bonne, je me demande ce qui Brassard en aurait dit s’il l’avait vu avant le documentaire sur lui.

Je garderai du documentaire, le désir de mettre en scène des textes, de faire du cinéma, de changer d’idée pendant le processus de création, de vouloir m’associer à des amis et autres talentueux créateurs (l’entrevue avec Michel Tremblay est très touchante, surtout sur la fin, ça m’a tiré un moment de silence dans les yeux, j’y ai vu un peu flou, comme dans une caméra subjective sous l’eau, c’est que les histoires d’amitiés éloignées me font toujours cet effet, parce qu’après tout, il y a une seule chose dont je suis convaincu c’est que l’amitié est centrale à l’expérience d’être humain… ET d’être UN être humain.)… bon où j’en étais…

Oui je garderai de ce film aussi l’envie d’enseigner un jour, ce qui pendant la conversation avec Brassard semble l’amener dans la plus grande humanité.

Post-scriptum sans lien directe avec le blog: Ça fait deux fois que j’entends du Rolling Stone aujourd’hui, une première fois dans un café en début d’après-midi après une bonne nuit de sommeil et présentement au restaurant. À chaque fois, entendre les Stones ça me ramène à l’idée que c’est fascinant de vieillir, c’est ni beau, ni laid… mais tiens… c’est particulièrement étrange… mais non moins fascinant !


6 novembre 2018