Ce qui n’est pas donné est perdu
par Jean-François Lesage
Pour le blogue de 24 images du mois de mai, j’ai décidé de mener une petite enquête : quels sont les aphorismes, les citations, les fragments de sagesse qui habitent le processus créatif des cinéastes et des artisans, artisanes du cinéma ? J’en ai contacté une quarantaine. Certains ont puisé dans le journal de leurs propres pensées sur le métier, d’autres nous livrent des joyaux venant d’artistes, de philosophes ou d’illustres anonymes. Voici ce que j’ai recueilli.
PS : désolé chers lecteurs, chères lectrices, je n’ai pas traduit toutes les citations en anglais. Je ne voulais pas m’aventurer dans une traduction approximative de Lord Byron, Charles Bukowski ou Virginia Woolf.
—
Kalina Bertin
Alors, comme tu peux imaginer, travailler sur Manic à été un processus d’une très grande intensité, extrêmement demandant émotionnellement. Voici donc les citations et fragments de poèmes au sein desquels je me réfugiais au cours de la confection du film :
Il y a ce poème “The Moment”, de Margaret Atwood que j’ai affiché au-dessus de mon bureau de travail et que je lisais tous les jours. Voici le segment qui me touche particulièrement:
The cliffs fissure and collapse,
The air moves back from you like a wave
And you can’t breathe.
No, they whisper. You own nothing.
You were a visitor, time after time
climbing the hill, planting the flag, proclaiming.
We never belonged to you.
You never found us.
It was always the other way round.
Margaret Atwood
La nuit, en rêvant, j’obtins ce que je voulais. Je vainquis la peur de mourir, la sensation de poids, d’étouffement, et commençai, à la vitesse d’une comète, à voyager au milieu des étoiles.
Alexandro Jodorowsky
Deep in the human unconscious is a pervasive need for a logical universe that makes sense. But the real universe is always one step beyond logic.
Frank Herbert
How far do our feelings take their colour from the dive underground? I mean, what is the reality of any feeling?
Virginia Woolf
Their life a Storm whereon they ride
Lord Byron
Ce qui n’est pas donné est perdu
Richard Desjardins
Longtemps après ce voyage prolongé de mon esprit et de mon âme, Saturne et ses couronnes glaciales ont pris une beauté élégiaque et depuis je ne vois plus l’image de Saturne sans un sentiment accru de tristesse, étant désormais si éloignée de moi, si inaccessible. L’intensité, la gloire et l’assurance absolue de l’envolée de ma pensée ont rendu difficile pour moi de croire, une fois que j’allais mieux, que ce désordre en était un que je devais abandonner volontairement.
Kay R. Jamison
Like Hope upon a death-bed
While all around is torn (…)
Ressembling, ‘mid torture of the scene,
Love watching Madness with unalterable mien.
Lord Byron
L’image de couverture est tirée du film Manic de Kalina
—
Marianne Ploska
Quelle jouissance peut-on avoir du monde, à part s’y réfugier ?
Un aphorisme dans les notes de Franz Kafka
Et deux choses pleines de sagesse qui ne sont pas des fragments et auxquelles je peux penser là comme ça et qui doivent sans doute habiter tout ce que je peux faire avec des images, ce serait le livre de Edgar Morin sur le cinéma (Le cinéma ou l’homme imaginaire) et le Manuel pour prendre et donner les films de Stan Brakhage.
Ça me plaît pas mal de penser le cinéma comme outil et objet anthropologique ultime, et puis de me dire que c’est un truc ludique et accessible qu’on fait avec ses mains dans sa cuisine.
Image tirée d’ Un amour été dont Marianne a partagé la direction photo avec moi.
—
Moi
La plupart des choses qui naissent d’une certitude sont affreuses. Elles résultent de possibilités limitées et ont en leur cœur un noyau d’absolutisme. (…) Savoir très exactement ce que l’on va faire, c’est être assuré du résultat, mais aveugle durant tout le parcours. Or c’est pendant le parcours qu’advient l’œuvre : si l’on s’abstient de voyager, le point d’arriver ressemble fort à celui d’où l’on est parti.
Tacita Dean dans un texte consacré à l’artiste Roni Horn cité dans le livre Jeux sérieux, Cinéma et art contemporains transforment l’essai
Image tirée de mon dernier film La rivière cachée. Il sort en à la Cinémathèque québécoise le 25 mai, le 29 mai au Paraloeil (Rimouski), le 1er juin à la Maison du Cinéma (Sherbrooke) et au Cinéma Cartier (Québec) ainsi que le 2 juin au Cinéma du Parc en version anglaise. Venez!
19 mai 2018