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Cinéastes Invités

Conversation autour de la comédie – partie 1

par Jean-François Chagnon

27 octobre 2014, 8h32
Helen Faradji

Jean-François, quand on a commencé à parler de ta présence sur le blogue cinéaste invité, tu m’as tout de suite envoyé le lien vers une vidéo de Tony Zhou, intitulée How to do visual comedy.

Edgar Wright – How to Do Visual Comedy from Tony Zhou on Vimeo.

Sa première phrase, c’est « I think that comedy today, specially in american cinema, have totally lost its way ». Est-ce que c’est un constat que tu partages?

27 octobre 2014, 16h56
Jean-François Chagnon

Non, pas du tout.

Pourquoi alors je t’ai envoyé cette vidéo ?

Je partage le point de vue de Zhou sur la réalisation en comédie : selon moi, la fiction humoristique audiovisuelle (que ce soit au cinéma ou à la télé, peu importe) devrait utiliser les potentialités du langage cinématographique pour soutenir et appuyer les gags du scénario et le talent des acteurs; au même titre qu’un film d’horreur emploie les codes filmiques pour faire peur ou que le drame les exploite pour que le spectateur s’identifie à l’émotion des personnages, par exemple. Autrement dit, comme dans n’importe quel genre narratif, le langage cinématographique a une utilité dramaturgique en comédie : il permet d’orienter le récit et de raconter les gags. Tous les choix de réalisation doivent être effectués en fonction de l’efficacité comique.

Sans entrer dans les détails, chaque élément du langage cinématographique (de la focale utilisée, en passant par les mouvements de caméra jusqu’à l’étalonnage) peut rendre une joke plus ou moins efficace. La comédie étant, en gros, une question de timing et de point de vue, la drôlerie du contenu a besoin d’une approche formelle précise pour maximiser son efficacité.

Le langage cinématographique ne sauve pas un mauvais gag, mais peut en gâcher un bon, exactement comme le delivery d’un stand-up ou la structure du texte d’un one liner.

Là où je suis moins d’accord avec Zhou, c’est justement en ce qui concerne cette affirmation « I think that comedy today, specially in american cinema, have totally lost its way ».

Je suis de son avis par rapport au cinéaste Edgar Wright, je crois aussi qu’il maîtrise parfaitement la réalisation « comique » (et, personnellement, j’adore ses films). Je trouve également que Zhou a bien choisi ses exemples pour parler d’efficacité comique (particulièrement pour Louis C.K. – qui est, selon moi, un très grand réalisateur d’humour – et Tom Kuntz).

Par contre, je trouve qu’il n’analyse pas objectivement les films qu’il aime moins.

Je ne suis pas d’accord avec ses concepts d' »originalité » et d' »l’inventivité », des notions très peu quantifiables et faciles à déconstruire d’un point de vue critique. Je crois qu’en réalisation, il faut plutôt parler d’efficacité et de pertinence des codes filmiques, en lien avec le scénario.

Comme Zhou, j’aime moins les films dans la lignée des comédies de Judd Apatow; mais pour une question de goût qui n’a rien à voir avec l’efficacité de la réalisation. Objectivement, et selon la plupart des connaisseurs d’humour, les films que Zhou jugent négativement sont d’excellentes comédies. Malgré mes goûts personnels – qui sont liés au type de gags (jamais je ne pourrais dire que ces gags ne sont pas bons, ils ne me plaisent tout simplement pas) et non à leur exécution -, je crois que la comédie américaine se porte très bien.

Je n’adhère pas du tout à son idée de l' »editing improv ». Pour moi, ces films présentent un type de comédie dans lequel la réalisation doit justement s’effacer au profit des gags : c’est un choix, non pas du « lazy filmmaking ». Il s’agit, en quelque sorte, de l’équivalent de la sitcom : de l’humour basé sur le texte, les acteurs, les situations. Le langage cinématographique, par sa transparence, y est efficace : le cadrage et le montage servent à mettre en valeur l’humour. Les codes filmiques y sont utilisés avec intelligence et précision, dans un souci d’efficacité comique. Selon moi, Zhou se trompe entre style d’humour et maîtrise de l’humour.

Il n’y a pas de recette en humour, mais des techniques. Et ces techniques sont appliquées différemment selon chaque gag, chaque idée.

Pour moi, une mauvaise réalisation en comédie n’est pas liée au style d’humour ou à la technique choisie, mais à un désir des réalisateurs de tourner autre chose que du comique, à une exploitation du langage cinématographique à des fins esthétiques aucunement reliée à l’efficacité comique. À un manque de compréhension du gag ou simplement de sens de l’humour.
Je n’ai pas d’exemples de films ou de séries américaines, mais plutôt des exemples de personnes avec qui j’ai travaillées que je ne nommerai pas.

 

28 octobre, 8h41
Helen Faradji

T’es drôlement sérieux pour un comique… 🙂 Mais sans rire, l’utilisation d’une technique à une fin esthétique n’est pas forcément nuisible à la comédie, si? Tu cites justement Louis CK. Son usage du plan-séquence (oui, le fameux quasi-plan-séquence dans la dernière saison de Louie où sa fille et sa blonde jouent du violon) n’est pas qu’efficace. Il induit aussi un regard plus poétique, plus esthétique, moins ouvertement « efficace comiquement », me semble-t-il…
28 octobre, 11h18
Jean-François Chagnon

Sérieux ? Moi je trouve chaque phrase HILARANTE.

En ce qui concerne Louis C.K., effectivement, la scène que tu cites (comme plusieurs autres) a un caractère poétique et une fonction dramatique liée au storytelling et à la situation émotive des personnages, non à la comédie pure. C’est justement la force de la réalisation de la série LOUIE : chaque épisode, chaque scène, chaque moment sont construits selon ce qu’ils racontent et ce qu’il veulent dégager en terme d’émotivité. Il n’y a pas de ligne directrice esthétique qui nuirait soit à la comédie, soit à la beauté de certains moments.

La réalisation de Louis C.K. est brillante pour cette raison : les segments comiques sont tournés et montés selon des principes humoristiques précis et efficaces, alors que la réalisation de certaines autres séquences bascule dans la poésie, dans l’allégorie.

Mais, pour moi, Louie ne tombe jamais dans l’esthétisation gratuite, le « trip » de réalisation. Chaque composition, chaque mouvement de caméra, chaque musique, chaque coupe a une fonction scénaristique.

28 octobre, 11h25
Jean-François Chagnon

Plus largement, l’utilisation du langage cinématographique à des fins purement esthétiques n’est jamais très concluant, selon moi, dans le cinéma narratif. La fiction que je préfère est celle où tout est un choix lié au récit ou du moins à l’émotion que le cinéaste veut transmettre.

Je ne pense pas du tout, par contre, que la comédie ne doit pas être belle visuellement ou « cheap ». Au contraire, il faut simplement, à mon avis, qu’un réalisateur soit conscient de l’impact narratif de ce qu’il filme et, surtout, de la manière dont il le filme.

 

29 octobre, 7h03
Helen Faradji

Ok, ok. Mais honnêtement là, on est entre nous, est-ce qu’à tes yeux, la mise en scène est plus importante que le texte lui-même ? Sans qu’elle vire en trip de réalisation, bien sûr, mais est-ce que pour toi, elle est l’outil comique le plus efficace?

 

29 octobre, 11h40
Jean-François Chagnon

Non, absolument pas.

Je vais dire un cliché, mais je le pense quand même : en fiction, le texte est la base de tout. Un film (ou un épisode télé) ne peut pas être bon si le scénario n’est pas solide. En comédie le texte est primordial. La réalisation appuie, soutient, ajoute, mais ne peut pas être plus importante que le contenu lui-même. Pour moi, la réalisation humoristique c’est la forme, le langage qui permet de raconter les gags. C’est, justement, un outil qui permet de construire visuellement le comique.

Je ne pense pas qu’on puisse quantifier quel est l’outil le plus efficace entre la mise en scène à proprement parler, le jeu des acteurs, le découpage, le montage, l’apport du son, etc.
Il s’agit d’outils qui, pour être efficaces, doivent aller dans le sens du texte, de ses structures, de ses tonalités. En tant que réalisateur de sketchs, j’approche chaque gag selon son contenu et sa construction; mon apport consiste alors à comprendre le fonctionnement de ce gag et de transposer à l’écran l’efficacité du texte. Je n’applique pas mon « style » à un texte, je me plie plutôt à ses exigences propres.

 

30 octobre, 9h23
Helen Faradji

Est-ce que ce n’est pas tout le défi pour un réalisateur de comédies? Savoir mettre le texte en valeur mais réussir aussi à développer son style? Si on revient à la vidéo de Zhou, j’ai le sentiment que c’est ce qu’il dénonce un peu en parlant d’Apatow par exemple. Au point que trop valoriser le texte finirait même par « tuer » le texte, l’affadir…?

 

30 octobre, 10h07
Jean-François Chagnon

Bonne question.
Pour moi, le « style » est une notion assez floue. L’univers visuel d’un réalisateur ne devrait pas, je crois, être dissocié de ce qu’il raconte. Les éléments formels d’une oeuvre étayent le fond.

L’esthétique est une transposition visuelle et sonore du contenu, du discours. La composition, le rythme, la mise en scène devraient respecter le texte, non pas prendre le dessus, s’imposer.
Personnellement, lorsque je réalise, le style se dessine de lui-même quand je décortique le gag ou l’histoire pour bien la raconter. Chaque texte appelle lui-même sa forme.

Je ne suis donc pas d’accord avec ce que Zhou avance. À mon avis, les comédies dans la lignée d’Apatow sont réalistes et nécessitent une forme effacée. Ce choix esthétique – parce que je sus convaincu que ce n’est pas une erreur ou de la paresse, mais bien un choix – n’ affadit pas le texte, au contraire, il en reproduit la tonalité humoristique, il respecte le genre.
Le réalisme est un style en humour.

Pour répondre directement à ta question : je pense qu’un réalisateur qui sait mettre un texte en valeur le fera, évidemment, avec sa propre sensibilité, son style se créera donc naturellement. Une recherche formelle vide de sens, ou du moins sans lien avec le texte, donne souvent un résultat ampoulé et semble plaqué par-dessus le scénario.

Dans le fond, ce que je veux dire, c’est ce que les chefs répètent sans cesse dans Les Chefs : « il faut respecter le produit ».

À suivre…

Jean-François est réalisateur, scénariste et comédien, notamment pour Les Appendices


31 octobre 2014