Cinéastes Invités

Des films de sexe de filles

par Emilie Mannering

J’ai eu l’honneur d’être membre du jury de la compétition étudiante, lors des derniers RVCQ.  En regardant la sélection de courts métrages, je me suis réjouie de ce que j’étais en train de constater: non seulement près de la moitié des films étaient écrits et réalisés par des étudiantes, mais plusieurs de ces histoires abordaient la sexualité en privilégiant l’expérience et le point de vue féminin.

Alors que plusieurs monsieurs (et quelques madames, oui oui) trouvent toujours pertinent de programmer des films comme A Last Tango in Paris, d’encenser Casey Affleck ou de juger appropriée la présence de Polanski à la tête des Césars, je suis rassurée que la relève féminine travaille fort pour se réapproprier nos histoires, nos corps, notre sexualité, notre diversité, notre solidarité. Bravo les filles!

Parlant de cinéma étudiant et comme l’on se questionne toujours sur les raisons pour lesquelles il y a  encore si peu de femmes réalisatrices et scénaristes alors qu’elles représentent entre 40 et 60% des étudiantes (selon le dernier rapport de Réalisatrices Équitables), il serait peut-être pertinent d’aller vérifier COMMENT le cinéma est enseigné dans nos écoles.  

En faisant un petit sondage maison auprès de quelques filles sorties des écoles de cinéma dans les dernières années, j’ai constaté qu’elles avaient plusieurs histoires édifiantes à raconter: par exemple, une prof qui affirme à ses étudiants que «pour réussir en cinéma, une fille doit se mettre à 4 pattes»  ou encore le directeur de programme qui déclare que «le cinéma féministe ne veut rien dire». Il y a aussi le prof un peu mononc’ qui se permet d’admirer à voix haute les «superbes seins laiteux» d’une actrice, le professeur condescendant qui s’exclame «Oh! toi aussi t’as envie de jouer à la réalisatrice triste?!?», et le prof trivial qui explique candidement que «les actrices de 50 ans et plus sont prêtes à accepter n’importe quoi». Bref, on m’a confié toute une gamme de clichés dégradants, sexistes et parfois racistes.  

Peut-être que d’être exposées à autant de stéréotypes et de paternalisme dès le début de son aventure dans le monde «si progressiste» du cinéma,  ben…

Peut-être qu’à force de régulièrement se faire réduire à sa sexualité, à son corps, à son âge ou de faire invalider sa démarche artistique parce qu’elle ne correspond pas à la vision masculine, blanche et dominante de ce qui est intéressant et pertinent de raconter, beeen…

Et probablement qu’en omettant d’enseigner le cinéma de Mireille Dansereau ou en balayant le nom d’Alice Guy des livres d’histoire, beeeeen…

M’enfin… J’étais donc rassurée de voir pleins de films cool de sexe de filles. La programmatrice de la sélection m’a confirmé que c’était la première année qu’elle recevait autant de propositions d’étudiantes.  Bien entendu, c’est grâce au travail des pionnières qui les ont précédées, que de plus en plus de filles sont mieux outillées et ont plus confiance en leur voix.  Je crois que cette tendance est aussi attribuable aux récentes initiatives des institutions comme la SODEC, Telefilm et l’ONF,  qui prennent enfin leurs responsabilités et envoient le message clair que notre point de vue a autant d’importance que celui des hommes.  Nous assistons à un véritable progrès social.  

J’aimerais profiter de cette tribune pour citer 2 points importants d’un second rapport de Réalisatrice Équitable, sorti en 2016 (référence ici):

1- On sait que les réalisateurs sexualisent leurs personnages féminins presque 5 fois (4,7) plus que les réalisatrices, et que dans les films réalisés par des hommes, on retrouve encore massivement les femmes cantonnées dans les rôles de secrétariat et services, enseignement et bibliothèque, prostitution et danse érotique.

2- Les femmes créatrices sont celles qui créent des personnages féminins forts et diversifiés en âge, poids, apparence, type de métier, etc. En somme, «en privant le Québec de l’imaginaire des réalisatrices on le prive aussi d’une diversité de modèles féminins plus actuels, et de relations hommes-femmes beaucoup moins stéréotypées».

Et en terminant, je désire citer ce passage d’un texte récent de Virginie Despentes:

Bien sûr, on peut se dire: « Tant que le film est bon qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce soient les femmes ou les hommes qui s’expriment dans le plan. Ça n’aurait aucune importance si et seulement si il n’y avait pas systématisme. Parce qu’il y a systématisme, il y a propagande. Et parce qu’il y a propagande, nous devons garder un oeil critique sur les films que nous regardons».

Si collectivement on veut vraiment arriver à un monde plus égalitaire, on ne peut pas laisser croire que les histoires que l’on raconte et que les modèles que l’on crée n’ont pas d’importance. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour enfin avoir droit au cinéma diversifié que l’on mérite.

Mais on lâche pas! La relève est prête et talentueuse! Go les filles!


20 mars 2017