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Cinéastes Invités

Et le gagnant est…

par Rafaël Ouellet

Je ne fais pas de films pour gagner des prix, et ça tombe bien, j’en gagne rarement. Je n’aime pas beaucoup être en compétition dans un festival. C’est bon pour le film, c’est bon pour la carrière, mais ça crée des attentes dans les médias et chez certains collaborateurs, ça nous empêche de jouer les touristes, ça demande deux fois plus de promotion. Et ça use les nerfs lorsqu’on se retrouve dans la salle du gala, et qu’on se surprend tout à coup à y croire. À le vouloir. C’est pas agréable. En général, les festivals nous avertissent la veille (lorsqu’on a quitté le festival) ou le jour même (si on y est toujours) qu’il est très conseillé de se pointer-à-la-remise-de-prix-clin-d’oeil-clin-d’oeil, mais c’est pas toujours le cas.

Liv Ullmann lors d’une rencontre avec le public au FFM en 2000 racontait qu’au festival de Cannes de cette même année, la rumeur de Palme d’or pour son film Infidèle était si forte qu’elle était persuadée qu’elle la remporterait. Elle racontait aussi avoir observé Lars Von Trier, dans toute son arrogance, agir comme si c’était gagné d’avance pour son Dancer in the Dark. Elle avait pitié de lui. Elle était triste pour lui, persuadée qu’il allait vivre une grande déception.

Son film a remporté la palme d’or et le prix de la meilleure actrice pour Björk. Liv est repartie sans aucun prix, ni mention. Elle nous a avoué avoir eu honte d’elle-même. De s’être surprise à avoir eu toutes ces pensées. D’être aussi compétitive.

Ça ne fait pas toujours ressortir le meilleur de l’artiste, pour être poli.

À Karlovy Vary en 2012 avec Camion, on m’a fait le proverbial clin d’oeil qui m’indiquait que nous allions remporter un prix. Mais lequel? Assis tout près de moi, un acteur allemand pour qui la rumeur était très bonne; donc pas de prix pour Julien Poulin. Derrière moi, l’actrice iranienne Leila Hatami que l’on connait entre autres pour Une séparation; je n’ai pas de premier rôle féminin dans mon film, je vous raconte ça seulement pour faire du name-dropping. Reste donc une ou deux mentions et 3 prix officiels. Pendant toute la semaine, je n’ai pas pensé une minute aux prix. Le matin même, dans ma chambre d’hôtel, avant qu’on m’appelle, je n’avais même pas considéré assister au gala. Et me voilà, dans cette salle de construction soviétique, à souhaiter ne pas recevoir une mention. À vouloir un « vrai prix ». C’est laid ce que ça fait, je vous jure.

Les mentions passent, rien pour moi, je suis soulagé. RIen pour les acteurs non plus. Il reste trois prix. Réalisation, Prix spécial du jury et Grand prix. N’importe quel de ces prix serait un grand honneur. Sauf que…

Le grand prix est accompagné d’une bourse de 25,000$ américains! Le prix spécial, 15,000$. Et le prix de la meilleure réalisation… zéro. Laid je vous dit. Laid. Si les membres du jury avaient pu lire dans mes pensées lorsque je suis allé cherché mon Globe pour la réalisation, ils m’auraient aussi donné celui de meilleur acteur.

Il va sans dire que je suis très fier et honoré d’avoir obtenu ce prix. Et reconnaissant de son effet porteur; le succès de mon film doit beaucoup à ce festival et à ces prix.

Ce matin là, donc. Deux appels. Un qui m’incite à me pointer au gala. Un autre qui m’annonce sans tambour ni trompette que Camion remporte le prix du jury oecuménique. La cérémonie a lieu après le dîner, une réception toute simple. Je passe un peu de temps à discuter avec les membres de ce jury, à boire du champagne et à oublier l’heure. Une organisatrice du festival m’indique que je dois quitter si je veux avoir le temps de me préparer à temps pour le gala. C’est que, c’est la canicule, je suis habillé en mou, je suis comme en vacances, mais le gala exige une tenue de soirée très officielle. Et j’ai mon suit pour ça. Allez hop!

Je cours à l’hôtel. Je saute dans la douche. Je me prépare. J’enfile ma chemise. Je ne trouve pas ma cravate, pas grave, je finirai par ça. Je mets des bas. Je… ne trouve plus mes pantalons. J’avais sorti mon habit ce matin! Mon Dubuc! Les pantalons devraient être là, juste là! Je cherche partout même si ce n’est pas une très grande chambre. Rien à faire, pas de pantalons. Je descend à la réception. « Oh yes, the maid, she wash them for you! » Pardon? Il l’appelle. Oui, ils sont dans la sécheuse, m’annonce-t-il fièrement! avec son accent tchèque. Ok. 1- Ça va PAS dans la laveuse. 2- Encore moins dans la SÉCHEUSE. 3- J’en ai besoin, LÀ!

Après une longue discussion en tchèque, il revient vers moi. Elle va sortir les pantalons de la sécheuse, elle va les presser, ça va sûrement aider, elle me les apporte dans 5 minutes.

15 minutes plus tard, elle frappe à ma porte, me tend les pantalons avec le sourire. Ils sont lourds. Ils sont, pas trempés, mais bien, trempes. Je communique avec une des responsables du festival (une francophile) Je veux gagner quelques minutes.

photo prise l’année suivante au KVIFF.

Je m’attaque donc au séchage de mes pantalons avec le séchoir à cheveux de l’hôtel. Je me concentre sur la fourche et le derrière, question de priorité, de confort. Rien à faire, ces « lainages quatre saisons » ne veulent rien savoir, c’est mouillé et ça le restera.

En pleine canicule, habillé en Dubuc, c’est le cul mouillé et la fourche humide que je suis allé chercher mon prix. C’est bien de se faire annoncer comme « Best director » mais des pantalons de 10 kilos, ça garde sur terre.


25 mars 2015