Cinéastes Invités

Kristina Wagenbauer, blogue n°3

par Kristina Wagenbauer

Bonjour,

Puisque j’ai carte blanche, je m’amuse à jouer à la journaliste et je passe en entrevue des artisans du cinéma que j’admire ou que j’aime.

Mon premier cobaye est Jules Saulnier, qui selon moi et quelques autres cinéastes que je connais, est le meilleur monteur au monde.

Je sais, ce n’est pas rien.

Désolée pour les autres monteurs qui sont très bons aussi, ce n’est pas personnel – et il y a d’autres monteurs que j’aime et j’admire beaucoup. C’est juste que Jules… c’est Jules!

Un de mes collaborateurs les plus fidèles, il a monté plusieurs de mes films et j’ai vraiment l’impression qu’on évolue ensemble de projet en projet.

J’ai le rêve secret que quand je serai rendue à mon 23ème film à 89 ans, c’est Jules qui le montera.

De plus, il a accepté de répondre à ma question des films préférés.

Voici donc mon entrevue avec Jules Saulnier.

 .  

KW: Comment t’es arrivé à faire du cinéma?

JS: Quand j’étais au CEGEP, j’ai commencé à faire des vidéos niaiseux avec mes amis. On était influencés par l’émission Chick’n Swell à Radio-Canada. J’ai appris à manipuler une caméra et faire du montage comme ça. Après, j’ai découvert le mouvement Kino et j’ai commencé à faire des courts métrages, ça m’a donné la piqûre.

KW: Pourquoi le montage? 

JS: Au fil du temps, je me suis rendu compte que je prenais plus de plaisir en post-production qu’en tournage. J’apprécie plus le côté posé, lent et solitaire du montage que l’atmosphère bouillonnante, l’adrénaline d’un tournage. J’aime aussi être plus proche du résultat final d’une oeuvre… il y a quelque chose de magique à voir le film prendre forme, quand ça commence à “marcher”.

KW: Qu’est-ce que tu aimes le plus de ta relation avec les réalisateurs ?

JS: Peut-être l’intimité par rapport au film qui se développe en salle de montage. Sur un plateau c’est du gros travail d’équipe avec une multitude de gens, mais souvent en montage on se ramasse à être juste 2 pour prendre des centaines de microdécisions qui vont avoir un impact important sur le résultat final. Puis quand la relation est bonne, on se dit les vraies affaires, ce qui marche ou pas, et ça enrichit le film. Les réalisateurs avec qui je travaille le mieux sont ceux à qui je suis à l’aise de dire tout ce que je pense, sans filtre.

KW: Tes œuvres desquelles t’es le plus fier?

JS: Le film ÉCARTÉE est important pour moi. Le tournage s’est fait avec un canevas de scène à scène, mais pas de scénario précis et beaucoup d’improvisation pendant les prises. Ça laissait énormément de jeu au montage, donc on a vraiment rebâti le film ensemble, Lawrence et moi. Aussi, je dirais la série documentaire 180 JOURS. Là aussi, j’ai eu un input énorme, car c’était du documentaire d’observation où chaque scène était construite au montage, en réfléchissant avec la réalisatrice et la recherchiste. Plus je peux voir mon apport dans le résultat final, plus je suis fier de mon travail, même quand il y a juste moi qui le sait.

KW: On dit que le montage est la troisième écriture – pourquoi?

JS: Ouin, j’ai un peu de misère avec cette expression. C’est certain qu’après le scénario et le tournage, le montage vient compléter “l’écriture” d’un film, mais c’est une étape différente en soi. Oui, c’est possible de réinventer un film en montage, mais la majorité du temps on vient plutôt donner la dernière poussée pour aboutir ce que le scénario avait mis en place au départ. J’ai l’impression qu’on dit souvent ça pour rappeler qu’il y a une grande part de créativité en montage. Beaucoup de gens pensent qu’être monteur, c’est juste exécuter ce que le réalisateur te dit de faire. C’est étonnant, mais j’entends encore ça souvent; même dans le milieu.

KW: Mini-Series vs. Film de 3.5heures? 

JS: J’aime les 2 formats, mais je trouve plus facilement le temps d’écouter une minisérie! Ceci dit, j’adore me plonger dans un très long film qui est comme une expérience. Quand je suis allé voir  “Nymphomaniac”, “Enter The Void” ou “Ceux qui font les révolutions…”, j’ai probablement plus aimé l’expérience que les films en soi. Il y a quelque chose de thrillant à être captif d’un long film, dans une salle de cinéma.

KW: C’est quoi ton plus grand rêve de monteur?

JS: Je fantasme à l’idée de mettre la main sur les rushes d’un film disparu, inachevé. Genre plonger dans des centaines d’heures de rushes sans savoir ce que tu es en train de découvrir. Plus réalistement, j’adore les documentaires “fly-on-the-wall”, sans intervention à la caméra, j’aimerais beaucoup en monter un long.

KW: C’est quoi tes 3 films préférés et pourquoi.

JS: Argh, je ne sais pas, je suis pourri pour ce genre de questions…ça change tout le temps, ou j’oublie… Mais bon, disons 3 films importants pour moi:

Lost Highway (David Lynch) : j’ai vu ça quand j’avais 16-17 ans et ça a complètement changé ma vision du cinéma. Avant ça, j’avais des goûts cinématographiques plus traditionnels, et ça m’a allumé sur le cinéma de répertoire. Je n’ose pas le revoir aujourd’hui, j’ai peur que ça ait mal vieilli (quelqu’un peut me répondre?)

Caché (Michael Haneke) : Pour m’avoir aidé à comprendre le pouvoir de la suggestion au cinéma. Ce n’est pas un film d’horreur, et pourtant c’est un des films les plus terrifiants que j’ai vus.

À l’ouest de Pluton (Henry Bernadet & Myriam Verreault) : Pour m’avoir fait allumer sur le cinéma québécois contemporain, et m’avoir fait comprendre que c’est possible de faire des grands films sans de grands moyens. J’ai dû le voir 6-7 fois et à chaque fois je trouve ça meilleur.


12 octobre 2018