François Blouin, blogue n°2
par François Blouin
Montréal, mardi soir, dans un appartement qui n’est pas le mien, avec une bonne connexion internet…
Un ami m’a prêté son appartement libre ce soir pour que je puisse regarder un film sur Netflix. L’idée est simple: je n’ai pas encore de connexion internet chez moi, mis à part mon téléphone « intelligent » avec l’écran brisé comme bout de glace éméché (non je ne le ferai pas réparer, y’a des limites à se faire « fourrer » pour 120$, et de deux, je regarde trop souvent ce petit écran dans une journée, un écran brisé me donne un peu moins le goût, quoique ça donne des effets visuels intéressants). Donc, je suis ici dans cet appartement par besoin urgent… Je dois voir le nouveau film de Orson Welles ! On est vraiment à une époque étrange… J’ai accès au nouveau film d’un maitre du cinéma mort et enterré depuis au moins 33 ans… Encore il y a 10 ans on avait de la difficulté à avoir une résolution nécessaire sur le net pour regarder une vidéo de chat qui niaise avec une balle de laine ou pour regarder un vidéoclip de Radiohead pour une 100e fois.
Bref je suis installé dans une cuisine, les fesses sur un banc d’église récupéré, je bois du Perrier comme s’il n’y avait plus de lendemain et je lutte pour ne pas terminer un excellent sac de chips au vinaigre, c’est Mo-vember, oups non, c’est Sober-November, donc, par encouragement perso, je me dis que je peux manger des chips au vinaigre puisque je ne bois pas, en fait j’ai commencé une semaine avant le 1 novembre, alors que je voulais aller me faire couper la barbe et la moustache, puis j’ai bifurqué, et j’ai décidé d’arrêter de boire pour quelques semaines. Drôle d’idée. Résultat des courses: je mange des chips, je bois du Perrier et je commence le film récent d’un génie mort il y a longtemps.
The other side of the light. Orson Welles.
Petit détail avant d’appuyer PLAY: la raison de « l’urgence » à voir ce film.
J’ai terminé d’écrire un scénario de long métrage début septembre, j’en suis encore dans le fade out du retour à la réalité. Bref c’est l’histoire d’un tournage de film inachevé… et c’est fortement le portrait d’un réalisateur allemand sur la fin de ses jours… Et parce que la vie est ainsi faite, et d’autant plus l’fun ainsi, début septembre, le matin où je quittais Montréal pour aller à Halifax afin d’écrire une dernière version du film, j’appris tout bonnement que nul autre que le « modeste » Orson Welles sortait un nouveau film début novembre sur Netflix… « Pas mort Orson ??? » Qu’à cela ne tienne, pourquoi ne pas terminer un film après avoir rendu le dernier souffle quand l’on s’appelle Orson, et que le sujet dudit film est tout bonnement l’histoire d’un réalisateur qui tente de terminer son film avant de mourir… Logique implacable. C’est à peu près comme si le train pour Halifax m’avait passé dessus en oubliant de ralentir. Ni une ni deux je suis parti à rire en braillant par en dedans. J’ai demandé conseil aux amis, l’un d’eux, s’empressa de me rappeler que ce n’était pas si mal de me rendre compte que je m’intéresse aux mêmes sujets/pistes que Monsieur Wells en personne… Ce qui ne me rassura pas le moins du monde au contraire, mais je décidai tout de même de prendre le train de 23 heures pour Halifax afin d’y chasser la fin de mon scénario de film. Hors donc, je suis ici dans cet appartement vide, et je peux enfin me taper ce sapristi de film posthume qui va peut-être me rappeler que certains sujets sont dans l’air et que c’est probablement une mauvaise idée de tenter de faire un film qu’un des grands maitres à déjà tenté de faire.
En même temps, difficile de ne pas répéter ce que les grands on fait avant nous, mais quand on le sait, c’est déjà plus malaisant. Bref…
Cut to: PLAY.
00:00 min…
Début du film… J’ai le son « dans le tapis » avec mes écouteurs « démantibulés » de Dr Drew.
Je n’écris pas en regardant… mais je mange: chips aux vinaigres. Poignée de 5 ou 6 croustilles (croustilles ça sonne pas comme un « chips »). Donc des chips de tailles moyennes toutes en même temps. Gorgées de Perrier en prenant soin de remettre le bouchon à chaque fois = bouchon gras de chips. Je sais que les bulles ne vont pas s’enfuir mais c’est plus fort que moi. Professionnel.
07:23 min
Pause.
Wow… un début en photos… des images noires et blanches fixes… c’est tout simplement crissement beau. J’adore les photos au cinéma. Surtout en noir et blanc. C’est comme ça. Y’en a qui trippe sur le 4:3, moi c’est le fixe. Parce que dans le fond c’est bin plus « fixe » qu’en « mouvement » le 7e art. La preuve c’est que Empire Strike Back n’a pas vieilli d’un poil de Wookie depuis… Mais on ne peut pas en dire autant des autres opus de la nouvelle… oups non je ne pars pas là-dessus… pas tout de suite entouka…
13:28 min.
Hum… c’est beau des shots d’équipements de cinéma… en film…
Mais je peux pas m’empêcher de penser que c’est le monteur de 2016-2017 qui donne ce rythme-là au film… pas Orson Welles certain… C’est bin trop rapide… ou alors Orson a monté (il est crédité comme monteur) des bouts sur la dernière minute de sa vie, un peu sur les nerfs. Ou parle par l’entremise d’un médium sur le café filtre. C’est nerveux pis pas si clair… mais bon… c’est un rythme… Mais l’histoire du réalisateur elle arrive quand clairement dans le film ? J’ai ti stressé pour rien moi ?
(pour geek seulement) C’est vraiment beau des effets de zoom en 16mm…
21:14 min.
Hum… ouain… sais pas trop quoi dire. C’est un exercice de style posthume. Ça faisait une calvaire de bonne bande annonce entouka… Comme beaucoup de films de super héros. Ça nous apprendra, les trippeux de cinéma, on ne devrait jamais retoucher à une oeuvre inachevée ou à un film fini, terminé. Ou laissé pour compte.
Bon les shots de caméra à l’épaule dans une décapotable alors qu’il y a déjà un caméraman qui filme dans le char, ça devient chargé, ça tient pas la route. Sorry Orson. Mais calvaire que c’est beau les images d’un motard pas de cassss’ la nuitttte ! Bon. On est loin de mon scénario, je suis tout de même rassuré. Ça aurait pu s’arrêter dret-net-sec à souère. Je ferais peut-être pas mieux, mais ce sera autre chose. Et je le ferai de mon vivant, ce qui me donne tout de même un avantage non négligeable sur Orson qui doit être en train de préparer son director’s cut dans son cercueil… Je peux pas croire qu’il aime cette version !
24:12 min.
Oh ! Mais c’est alors que l’on entre dans le PARTY du film. Une scène de party. Et là quelque chose se passe. Peut-être parce qu’au fond, le film EST un party pour tout cinéphile, je continue. Entre deux check up sur facebook/messenger pour jaser avec des amis, ou tenter d’aider une collaboratrice qui cherche à louer des tapis pour un show. (Oui, on a acheté plusieurs tapis l’an dernier avec notre compagnie de théâtre pour monter L’Iliade. J’avais eu envie de couvrir la scène de tapis. Inspiration du grand Peter Brook ça l’air. Bref entre un message de faux tapis persan, un échange avec une autre amie qui me parle de sexe tantrique et les shots de zoom de Orson, je résiste à mon sac de chips au vinaigre. Il est maintenant roulé sur lui-même et déposé trop loin sur la table pour que je l’atteigne de la main. Tapis persans, sexe tantrique, irrésistibles chips au vinaigre et wifi gratis. Boum c’est un bon mardi soir !)
Je continue.
27:27 min.
Hum… le montage de ce film… Pause. J’arrête pas de penser à l’effet qu’avait eu sur moi Natural Born Killer quand je l’ai vu au Cinéma Joliette il y a un bout de temps… je devais être au Cégep… J’avais été assommé par la violence bien sûr, surtout que j’avais vu C’est arrivé près de chez vous et Bad Lieutenant dans la même période, y’a un moment où le cerveau fait du reflux d’images éventuellement, bref j’avais tout de même tellement trippé sur le bord de mon siège à vivre le rythme syncopé du montage, du passage des teintes vertes de jello atomique au monochrome rouge rappelant la couleur de la sauce aux cerises des tites boules de poulet pannée au buffet chinois de Joliette, et ces shots en noir et blanc du journaliste fou et de Mickey et Malory en délire de cartoon sur l’acide à batterie, bref… Calvaire que c’était bon ! Une vrai ride musicalo-graphique (Leonard Cohen entre autre…), c’tait tout simplement cool. Bref je pense à ça, là, en voyant ce montage un brin trop rapide, qui me donne l’impression que c’est vraiment monté par quelqu’un qui ne connait plus ce qu’était un montage rapide dans le contexte des années 70-80. C’est un brin trop rapide entouka, ici, dans ce film posthume.
Me sens bizarre de regarder le film « achevé » laissé « inachevé » par un artiste. Est-ce que l’on termine une sculpture de Rodin laissée à l’abandon ? En y pluggant des lasers ou un bras mécanique qui se gratterait le dos ? Me semble que non. On termine le projet de construction de chalet d’un père ou d’un oncle, ou on reprend la garde d’un enfant abandonné… mais il me semble que l’on ne termine pas un film inachevé d’un artiste disparu…
32:00 min.
N’en demeure pas moins, un bon acteur (actrice) avec une bonne voix et sous une bonne lumière et soudainement quelque chose se passe, peu importe l’arc narratif (l’arrrrk narratif). La preuve étant John Huston dans le film. Aussitôt qu’il parle c’est comme de manger un boeuf AAA cuit sur un barbecue au grand air du Texas. Ça goûte bon. Mes excuses pour l’image sanglante. C’est une réminiscence d’un lien olfacto-visuel que j’ai fait il y a plusieurs années entre un steak mangé au Texas et la voix de certains acteurs, voir la présence de certains acteurs américains, ou auteurs américains… Mickey Rourke, Tommy Lee Jones, Nick Nolte, Bukowsky, Schrader… Je dis pas que j’ai envie de les manger… Mais alors là, aucunement. Je dis que je fais comme un accord vin bouffe… mais là c’est acteur/artiste et impressions de bouffe… Bah je ne défoncerai pas la baraque en neuro-psy avec ça, mais j’me comprends. Pis j’aime le steak. Les légumes aussi, rien contre eux en passant.
Bref dans ce brouhaha d’images de party, John Huston apparait comme un lézard au milieu d’un montage effréné, ça vaut le détour. Je continue.
33:35 min.
« Movies and friendship, those are mysteries… » nous dit Huston… le personnage du réalisateur rugueux et sanguin. (Philip Seymour Hoffman aurait pu jouer ce rôle dans 30 ans s’il n’était pas mort… mais qui sait dans 30 ans, ce sera peut-être la mode… de travailler avec des acteurs morts virtuellement vieillis ? On n’en est pas à une bizarrerie près !)
« Movies and friendship, those are mysteries… » Ça pourrait être le thème de mon mois d’écriture pour le blog. Étrangement, j’en parlais de l’amitié hier en relatant la complexe amitié Brassard-Tremblay. Il y a de ça au cinéma, pour moi entouka. Tout commence avec une histoire d’amitié. Enfin, c’est comme ça pour moi je pense. Et le cinéma tout comme l’amitié, nous dit Orson, c’est un chris de duo de mystère. Bien vrai !
Manger des chips et boire du Perrier, ça stone son homme. Bon je continue encore un peu, au pire j’ouvre ma canne de maquereau que j’ai achetée au dépanneur tenu par un charmant couple d’origine chinoise qui vendent des fleurs en plus de tout ce qu’un dépanneur peut vendre.
36:36 min.
« Every man contain withins himself all condition of humanity » Pas mal… C’est dit par le personnage de la comédienne dans le party interviewée par le Réalisateur malcommode.
Puis…
« Real man never like us » et…. « Man like man » dit-elle… Ça rentre dans le dash !
« And women keep us away from each other » de répondre le Réalisateur-rugueux…
Hum… c’est ce que j’appelle deux personnages qui se parlent dans un film. Il faut entendre la voix de la comédienne, c’est magique. (pas magique comme une elfe, mais comme Faye Dunaway dans Bonnie and Clyde, force et élégance contenues dans un regard perçant).
Puis les rushes du film semblent avoir été mélangés avec ceux du film inachevé de George Henri Clouzot (L’enfer)… comme si les maîtres du cinéma ne pouvaient faire autrement que d’avoir une séquence avec des couleurs primaires très flash et des corps nus qui dansent dans leurs films inachevés… D’ailleurs ça rajoute que ce soit inachevé … C’est peut-être plus beau comme ça… que ça reste inachevé… ça nous donne l’infinie possibilité de se demander ce que ça aurait pu être pour nous… spectateur… ça devient notre bout de film personnel… dans nos têtes… c’est un segment de film de Orson W. fait pour nous… s’il était resté inachevé… mais là… c’est sur Netflix… aux dernières nouvelles ce n’est pas le « hub » le plus connu pour les œuvres à moitié faites. Bon à force d’écrire en regardant le film et en faisant de la gestion de tapis sur messenger, le blog va prendre le temps que Zeffirelli a besoin pour raconter la vie de Jésus, quel film quand même d’ailleurs ! La musique. Bon. Respiration. J’ouvre ma canne de maquereau. C’est le temps.
Et hop ! Le gout salé et franchement réconfortant des conserves Patène. C’est dit.
(Je regarde furtivement mon cellulaire en ouvrant la Presse +. La chambre des représentants vient de virer Démocrate. Sourire. Première amérindienne et deux premières femmes musulmanes élues ! Wow ! Et un premier Gouverneur ouvertement gay dans le Colorado ! Ça fait du bien. Ça me rassure. Pis bin non je suis ni amérindienne, ni musulmane ni gay. Mais calvaire que ça fait du bien de savoir que tout le monde peut avoir sa juste place. Simple simple simple. Point. Ah je repense soudainement à novembre 2016… à mon état à l’élection du présent Président qui venait se rajouter à la mort de Cohen… Quel mois de novembre ! Bon… chips… ah puis fuck, non pas de chips. Juste du maquereau. )
40:38 min.
Ouain, maquereau ou pas, je commence à être tanné… et… et plus j’y pense… plus ça me donne le gout de switcher à Tou.tv pour aller voir ce qui se passe avec le personnage de Gildor Roy dans District 31. J’aime beaucoup cette série. Mais vraiment. Pour plein de raisons. J’aime ça. Et je scrute le travail de l’auteur de jour en jour… pas toujours certain… mais je suis vraiment curieux de voir… la fin !
42:32 min.
J’ai relancé quelques minutes le film. Il m’apparait évident que Alessandro Jodorowski aurait dû être le monteur de cette version posthume, au pire ! Ça aurait été plus près de la vision de Orson W. il me semble ou alors ce serait devenu un dialogue entre deux cinéastes… C’est ce que j’aurais souhaité voir… Mais bon en hommage au film inachevé de Orson Welles je lui dédie mon visionnement inachevé… Bonne nuit !
8 novembre 2018