François Blouin, blogue n°3
par François Blouin
Mardi midi, dans un café avec des divans dépareillés et du wifi gratuit.
Je me demande bien quoi écrire après mon aventure avec Orson (Blog#2). J’hésite entre regarder le documentaire à propos du film de Orson, toujours sur Netflix, mais au moment où je viens pour activer ledit documentaire, je m’accroche le curseur de souris (trackpad/surface lisse interactive en français ?) et j’active un autre documentaire: FILM WORKER, à propos de Leon Vitali, l’acteur principal dans BARRY LYNDON de nul autre que Stanley Kubrick.
Qui dit Orson, dit rapidement Stanley bien sûr. Et comme le précédent film portait sur un tournage inachevé… Pourquoi ne pas regarder un film sur un homme que le cinéma a carrément achevé… C’est l’histoire de ce Leon Vitali, un acteur qui avait tout pour devenir un « success-story », mais qui devenu l’assistant du Maître incontesté du 7e art, celui qui donne des semi-dures/boner à tous les cinéastes qui en parlent au détour d’une bière ou d’une discussion de Festival, celui qui m’a clairement jeté en bas de mon siège à 14 ans au cinéma Joliette: j’étais sorti du cinéma en fin d’après-midi en disant « fuck » et je ne sais plus quel juron… imitant les soldats… Grisé par la violence. C’était du TNT sur écran. Contrairement à Natural Born Killer, c’était dans une certaine finesse de l’art… Plus près de Malher que de Wagner (Apocalyse Now)… Bref c’était entrer en contact avec le potentiel brut du cinéma.
(Note concernant l’utilisation du mot « cinéaste » plus haut. Ça n’inclut pas cette fois-ci les cinéast.es… Je parle des cinéastes garçons. En effet, rares sont les filles qui ont crié sur les toits leur amour pour Stanley… Peut-être est-ce dû à la faible présence de personnages féminins intéressants dans son œuvre ? Ce qui avec le temps finit par gosser… sans mauvais jeu de mots… C’est vrai que les femmes dans la vision de Stanley… ça se résume à une femme avec une mitraillette qui fait flipper des Marines à la fin de Full Metal Jacket… d’une pauvre Shelly qui subit les névroses d’un auteur qui travaille avec une dactylo (le film ne serait pas le même si Jack avait été muni d’un laptop avec l’option copier-coller…), sinon de mémoire… hum… j’évite de parler de Orange mécanique… c’est pas ce que j’appellerais la quintessence de la libération de l’image de le femme dans le 7e art, hum… quoi d’autre… 2001 ? hum… C’est la presqu’absence… Ou alors l’hôtesse de l’air qui replace un stylo dans la poche d’un monsieur dans le vaisseau… bah y reste Nicole K. qui sauve la donne. Son dernier film au grand maître. C’est d’ailleurs elle qui dit « fuck » à la fin du film il me semble, ce qui restera la dernière réplique d’un personnage de Stanley dite à l’écran. Pas mal comme chant du cygne. Mais bon, au moins Nicole, son personnage, elle a une forme d’existence en soi, mais rapidement on me fera remarquer que c’est bien pour venir défier/définir Monsieur Cruise… Enfin bref… C’est presque toujours des amis/confrères masculins qui m’ont parlé de Kubrick. Et moi le premier. Je m’en suis parlé à moi-même assez souvent. Bon c’est pas une obligation d’écrire des rôles pour des personnages féminins, bien sûr, mais quand il n’y a que des personnages masculins qui font avancer nos vues… On peut dire que c’est arrangé avec le fameux GARS des vues. Bref vivement Alien.)
Bref, un documentaire sur l’assistant de Kubrick. Pourquoi pas.
C’est vraiment fascinant. C’est comme si Di Caprio, après avoir joué un des bandits des films de Scorsese, avait décidé de devenir l’assistant du Maestro. Point. Ou comme si après Saving Private Ryan, Tom Hanks avait décidé de suivre Spielberg comme homme à tout faire. Ce Leon Vitali est fascinant. Et ma foi, on dirait l’histoire d’un homme qui a été totalement pris sous le joug des cinéastes « XX ». En vrac : on y entend le Sergent engueuleur de Full Metal faire son éloge, rappelant que si Leon n’avait pas été là, il n’aurait pas pu être l’acteur qu’il a été, et c’est suivi par des anecdotes à propos du plateau, savoureuses pour quiconque aime Stanley. On y parle aussi de Shining… Et c’est au tour du comédien qui joue le ti-garçon Redrum avec l’index qui parle (on a ti joué à faire parler notre index au secondaire en imitant le personnage, sans parler des tirades du Sergent-gueulard à propos des balles de golf dans les tuyaux d’arrosage ou des insultes savoureuses… « c’est toi ou c’est moi John Wayne…? » C’est pour dire… le cinéma… ça influence la jeunesse… Est-ce encore le cas ?). Bref il vient nous dire à quel point non seulement Leon l’a choisi sur 5000 candidats, l’a carrément trouvé, mais qu’en plus il était là constamment pendant le tournage pour l’accompagner. En bref, Leon l’a dirigé. Comme Leon a dirigé un des personnages les plus importants de Full Metal. Bref ça ventile l’idée du cinéaste divin qui fait tout.
« What Leon did… was like… « a kind of a cruxifiction of himself » Nous dit le comédien qui joue l’engagé Gignolle dans le film en réagissant à la décision de Leon de suivre Stanley K. pour devenir son assistant. Il est question aussi du directeur artistique qui a fait un burn-out en pleine production alors qu’il doit concevoir des ruines et des buildings qui devront être détruits pour que Maestro raconte son histoire de garçons qui tirent du gun. Une séquence qui à chaque fois me donne un peu la nausée. En ce sens Full Metal Jacket est vraiment bien écrit : comme dans la guerre, il n’y a finalement pas vraiment de scénario qui fait sens, les événements se déroulent, puis c’est la déroute, puis ça recommence. Le scénario de FMJ tourne autour de ce rythme.
À suivre le documentaire, Leon a archivé, fait la mise en page des dvds des films de S.K., répondu au courrier, soutenu Stanley, fait le lien avec les studios, vérifié les transferts de copies en film… Il a joué le jeu de Stanley.
À propos de Stanley…
« His attention to perfection could periodically be maddening » nous raconte un responsable du marketing pour FMJ. Ça me fait sourire. C’est drôle, mais ça me semble relativement normal qu’un cinéaste s’en fasse sur la qualité de présentation du film sur lequel il a mis une partie de sa vie. Ça c’est rien d’anormal à mon avis. Bref c’est Leon qui s’occupe de ça aussi.
Tiens voilà un lien avec mon réflexe d’associer bouffe et cinéma… Leon nous raconte que vivre avec Kubrick c’est un peu de vivre avec Gordon Ramsey dans son reality show… Hum… c’est appétissant ! Je dois dire que ça me fascine. Et ça nourrit mon propre film, mais ça c’est une autre histoire. Et Gordon Ramsey il me laisse sur ma faim…
OH joie !!! On apprend la vérité sur le grand complot concernant l’implication de Stanley sur le tournage de Apollo qui alunit sur la… Dans un studio de tournage… Oui oui, pour ceux qui ne le savent pas, une rumeur court depuis longtemps racontant que Kubrick aurait tourné la scène de Neil Amstrong arrivant sur la lune en studio quelque part au Nevada. Kubrick aurait eu un deal avec la Nasa pour pouvoir utiliser des lentilles assez sensibles pour tourner à la lumière de la chandelle dans Barry Lyndon. En échange de quoi il aurait tourné la mythique scène. Oui c’est farfelu, mais c’est tout de même divertissant. On dit même que Kubrick aurait fait le montage des images d’assassinat de JFK et possiblement de tout événement historique de la deuxième partie du 20e siècle et du nouveau millénaire. Ça c’est moi qui le dit pour compléter tout le talent que l’on projette sur un seul homme, comme si Neil Amstrong et toute l’équipe de la Nasa n’avaient pas, eux aussi, un talent fou.
Commentaire général sur les complots : le problème des complots c’est qu’au final ça nécessite une confiance aveugle en l’être humain dans sa capacité de discrétion pour penser que quelques dudes décident du sort de l’humanité autour d’un scotch vieilli dans l’eau du bain de Louis XIV. À mon humble avis… y’a des gens qui décident du sort de l’humanité en ti groupe, mais c’est pas pour mettre en scène l’arrivée de l’humaine nature sur la Lune, ou pour faire disparaître Elvis ou pour faire un attentat terroriste monté de toutes pièces : c’est plutôt pour continuer de nourrir tout le monde avec un spectacle, ça oui, un spectacle qui nous fait oublier à quel point le monde moderne n’est pas si avancé que ça… y’a encore beaucoup trop de monde qui crève de faim pour se péter les bretelles avec la grande avancée de l’humanité. Bon… je… je continue de regarder.
« Film worker are slightly different from other people. And that goes for theater workers too. They’re usually there for the love. They work the worse hours. They’re usually not at home. And they do all this with a fantastic capacity of creating a functionnal social unit that is extremly intimate within hours. » Hum… L’excellent acteur qui a joué dans… avec Lars Von Trier… Danois… la trilogie Millenium… hum…
Hum et soudainement le film glisse vers la vie personnelle. Léon et son rapport à son propre père. Désolé pour les gens que la psychanalyse fait éternuer… Mais on découvre le lien avec le père et soudainement, c’est plate à dire, mais tout s’éclaire. Hey bin ! Si y’a un complot il est là ! On n’y échappe pas ça bien l’air ! (Mon père à moi ? Il est prof de cinéma et critique cinématographique… rien à voir avec ce que je fais bien sûr. Et j’éternue). Le père de Leon est rushant et obsédé du détail. Les frères et sœurs de Leon en témoignent. Tout le monde a peur de se faire prendre à faire une erreur dans la famille.
Ce documentaire sur un assistant, oups, non sur un excellent comédien devenu assistant, dépasse le 7e art, il devient une exploration du rapport extrême de fascination pour un autre, pour un mentor ou pour un projet. Le sujet du film est finalement la passion, l’urgence de faire partie d’une aventure qui porte une chance de trouver » sa vérité ».
C’est aussi, en parallèle, sur les limites de suivre quelqu’un… de se fondre dans la vision d’un autre… je suis certain que ce n’est pas juste en cinéma que des assistants se font traiter comme des sous-quelque-chose. En même temps, la beauté du film, c’est que Leon arrive à nous convaincre qu’il y était en pleine connaissance de cause, par passion, par foi en Kubrick. Ça doit faire partie du paradoxe de ces relations.
Je prends un temps de silence, j’arrête le film. Je n’arrive pas à juger Leon malgré tout, j’aurais fait quoi à sa place ?
« I just understood from the experience of my dad, you take a step back, so you weren’t being abused. You just stood back, and you didn’t confront, you didn’t challenge. You just let them blast there way out of wathever it was they had a problem with. I think that’s what I bless Stanley for more then anything else is he kind of helped me to understand who I am » Leon Vitelli
Wow ! C’est comme qui dirait une citation que je relirai quelques fois.
Bon… Et pour les fans de Eyes Wide Shut, il y a vraiment une magnifique anecdote qui relie Leon au dernier opus de Stanley… C’est pas mêlant… c’est carrément émouvant ! Et ça en dit long sur ce que Kubrick pensait de Leon au bout du compte, ce qui nous fait croire pendant un instant, qu’il avait aussi beaucoup d’affection pour lui.
Et bien sûr, quelle plus belle fin pour finir cette entrée de blog que de vous dire que je viens d’apprendre que c’est Leon lui-même qui a terminé Eyes Wide Shut alors que Stanley est mort avant que le film se termine. Étrangement ici, contrairement au film inachevé de Orson, Stanley avait un Leon pour donner au film son dernier souffle et le terminer…
Longue vie à Leon Vitali.
17 novembre 2018