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Cinéastes Invités

François Blouin, blogue n°4

par François Blouin

Un lundi, au café de la cinémathèque. La grande bibliothèque est fermée le lundi. Pour une fois que j’ai envie d’y aller ! Sortant d’un meeting au centre-ville, je me dirige avec un éclat de souriante nostalgie à l’égard de mes fertiles flâneries à la bibli de science humaines de l’UdeM. C’est un gardien de sécurité qui m’accueille gentiment, il est gentil pour vrai, pas d’ironie ici, il m’annonce que c’est fermé le lundi. Je lui dis que je suis content que ça lui donne du travail. Il me répond qu’il travaille à dire que c’est fermé. Sourires partagés.

J’affronte alors les jeux de stratégies de chantiers de constructions pour accéder au café de la cinémathèque, évitant un cycliste qui se comporte comme certains automobilistes avec les cyclistes (le cycle serait complet si je me mettais à sauter sur les voitures à mon tour), bref, c’est un challenge ma foi stimulant en ce lundi. Et comme Garfield le chat, je déteste les lundi. C’est probablement un vestige de mon temps au primaire et au secondaire avant d’accéder au Cégep. La beauté du Cégep c’est que les lundis peuvent être avalés par les dimanches. Bref je me replie ici, au milieu d’un démontage du festival du documentaire qui se terminait hier. Les RIDM pour être fidèle à l’appellation. J’y ai vu deux films hier et 6-7 films en tout. Je dois avouer que plus ça va, plus mon plaisir de visionnement est concluant lorsqu’il s’agit de regarder des documentaires. C’est moins vrai pour la fiction. En plus simple: Chriss’ que c’est l’fun d’apprendre des affaires en regardant des images… Voilà, c’est dit. Je ne me tanne pas d’avoir accès à des visions du monde aussi diversifiées qu’il y a de documentaristes pour les réaliser.

En vrac, voici quelques flashs de ce que je garde en mémoire de ma dernière semaine au RIDM…  alors que des techniciens démontent le festival… dans la salle à côté.

D’abord ce film étrange sur un jeune garçon de 5 ans dans un monastère bouddhiste… A LITTLE WISDOM de Yuqi Kang… Ça m’apparaissait intéressant… Je suis curieux du bouddhisme en général. Mais alors là, le film lui me laisse assez indifférent après quelques minutes. Je cherche le point de vue, l’angle. En gros on suit un ti-gars qui niaise, qui est seul dans des corridors, qui crache et morve dans les moustiquaires, qui fuit ses comparses. J’en dors un bout. Puis je suis réveillé lorsque son frère lui fout une raclée, j’ai clairement envie de me lever et d’appeler le caméraman pour lui demander si ça ne lui aurait pas tenté de protéger le ti-gars en question. Je ne sais pas trop ce que le film tente de raconter, d’évoquer, de me dire. J’imagine que j’aurais voulu entendre des jeux de cloches sacrées ou simplement voir des jeunes gars tenter de conjurer le sort en méditant, en raclant le jardin ou en chassant le yak. Mais bon, peut-être que ce n’est pas ça, tout simplement pas ça. Peut-être qu’il n’y a rien de sacré dans le fait d’être un enfant qui est forcé de survivre à 5 ans. Dans un monastère, qu’il soit tibétain, bouddhiste zen, catho ou autre… Peut-être que le sujet du film, c’est la tragédie que des enfants, DES ENFANTS!, soient condamnés déjà à 5 ans, partout dans le monde, partout, un peu partout, à trop d’endroits, à tenter de se construire alors qu’ils n’ont que le rejet, la violence et la misère comme outils dans leur sac en bandoulière. Mais ça ne fait pas un film, ça peut même devenir complaisant.

Mais chose certaine, le film nous apprend que le fait d’être orphelin, et ce même avec un frère, c’est pas l’fun. J’avais compris sans voir le film. J’ai peut-être dormi le bout intéressant, ce qui ne serait pas surprenant dans une perspective d’humour bouddhiste… Enfin bref, je suis sorti du film et j’ai mangé un riz frit au poulet à m’en rendre malade. Comme quoi voir des images ça affecte son homme. Une portion de riz beaucoup trop grande. J’ai mangé pour le ti-gars du film il faut croire. Je pense que j’ai eu faim pour lui. Une faim de colère.

Puis je rejoins une amie pour aller voir THE IMAGE YOU MISSED de Donal Foreman, qui avec ce titre aurait pu être les scènes du film précédent que j’avais manqué à cause de mon roupillon, mais c’était plutôt un film fait d’archives à propos de l’IRA. Rien pour me détendre et pour digérer ma portion titanesque de riz.

Me voilà devant un essai poético-documentaire d’un gars qui remonte les archives vidéos (maudit que c’est beau du VHS) de son père, membre de l’IRA (Irish Republican Army) et qui tente de faire du sens dans tout ça. Je me suis trouvé un peu pris en otage moi-même comme spectateur dans cette introspection familiale père-fils qui est intéressante en partie puisqu’elle traite de la situation politique de l’époque mais éventuellement j’ai perdu mon intérêt. Et comble du hasard, en pleine projection sur l’IRA, il y a une panne d’électricité. Le film s’arrête. Je me réveille une fois de plus. Je dors souvent au cinéma, même quand le film est bon ceci dit, j’y suis trop bien au cinéma. Bref, les lumières de sécurité s’allument, on nous annonce la panne, on attend. Mon amie et moi-même décidons de quitter. D’aller manger peut-être…

Je remange. Mais c’est trop. Avec le riz au poulet, cette salade de zucchini est de trop, sans parler de cette demi pizza à croute mince au pesto. Mal de ventre qui commence. Ça durera 3 jours (y avait-il de la vilaine Romaine quelque part?). Mais ça c’est une autre histoire. Disons que j’en profiterai pour regarder des Miami Vice saison 2 de 1985 en dvd à la maison. C’est vraiment bien filmé et visuellement on baigne dans une exposition d’art moderne des années 80. Je suis un fan de Miami Vice depuis toujours. Du moins depuis que j’ai commencé à écouter le vinyle (33 tours) avec la pièce de Phil Collin et toutes les autres. Wow. Et ce duo Crocket (Johnson) et Rico (Thomas), toujours heureux de faire une ride de char et de porter le pastel-fluo avec la plus grande élégance. Ceci dit, et j’en écrirai peut-être plus dans une autre entrée de blog, la série était un exemple assez marquant de diversité à l’écran, et oui, de personnages féminins centraux ! Oui oui… Pas tout le temps, mais plus souvent qu’autrement. Crocket se fait sauver la vie par sa complice flic noire. Sans elle, plus de Don Johnson en complet blanc, chandail bleu poudre. Bref, une série qui n’a rien à voir avec ce texte sur les RIDM, mais qui en quelque sorte, est une trace documentaro-sociologique du style des années 80… Et peut-être une digression dû à un malaise de transpiration de salade Romaine… Le gouvernement pourrait en vendre en attendant le retour de “stock”… c’est le cas le dire.

Je retourne aux RIDM, après m’être cogné le front devant quelques salles pleines, tant mieux pour le festival, et je vois l’excellent  ZiVa Postec, la monteuse derrière le film Shoah de Catherine Hébert. Je vous l’accorde, avec un titre pareil, on est loin de ma définition du film léger pour détendre mon système nerveux, mais voir un bon film, même ultra-tragique, est à jamais un baume sur mon moral, et par le fait même, sur mon système digestif au grand complet (nous sommes deux jours après l’épisode Riz frit).

D’abord je vois le film dans la magnifique salle de la cinémathèque, cette fois-ci appelée Canal D, autrefois Claude Jutra, puis récemment salle principale, dans tous les cas, c’est vraiment une salle qui donne la chance de plonger TOTALEMENT dans un film comme on plongerait dans la caverne de Platon, ou dans un salon feutré du début du 20e siècle alors que le cinématographe rayonnait encore d’une aura de magie (oui oui j’ai quelque chose avec les petites salles de cinéma / cf. blog#1).

En plus la salle est pleine à craquer, c’est la première du film ! L’équipe est là ! J’aurai eu la chance de voir le film avec la monteuse à deux bancs de moi, dans les faits ça change rien, elle ne bougeait pas particulièrement, aucun effet de DBOX humain rajouté, mais l’effet symbolique est non moins puissant: c’est une forme de mise en abime de cinéphile que de voir un film sur une monteuse avec la monteuse du film en présence. C’est que le film dont il s’agit porte sur le métier de monteuse et plus précisément sur une femme extraordinaire. Le titre le dit: ZIVA POSTEC… celle qui est derrière le magistral documentaire SHOAH de Lanzmann…

Le film raconte la vie de cette femme monteuse (monteuRE?, monteuR?), passionnée de cinéma, qui va consacrer, entre autres, 6 ans de sa vie à visionner les 350 heures d’entrevues et d’images difficiles relatant les camps de la mort (notamment celui d’Auschwitz). C’est comme qui dirait “un peu l’Enfer en soi”. Se taper ces témoignages, les classer, c’est revivre quotidiennement quelque chose d’insoutenable j’imagine. Les revoir, les remonter. Écouter Lanzmann, le réalisateur, qui semble pas particulièrement simple, c’est le moins que l’on puisse dire en écoutant les silences de madame Postec lorsqu’elle “parle de lui”. Elle parle de sa mission à elle, de devoir faire ce film, pour la mémoire… Peu importe la difficulté de la tâche, et peu importe le caractère difficile de Mister Lanzmann. Ici, je pourrais faire un écho à mes impressions de Leon Vitali face à son idole Kubrick (blog#3), mais seulement pour le dévouement et la difficulté de fréquenter ces égotiques créateurs, après, Shoah, comme entreprise de documentaire, c’est monumental, et d’un tout autre ordre que n’importe quel chef d’oeuvre de Kubrick bien sûr.  Les deux formes de cinéma sont essentielles, mais Shoah était clairement vital pour la suite du monde…

Bref, regarder ce portrait d’une artiste, la voir à travers des images d’archive, jouant avec les bandes de pellicule, qu’elle a l’air de coudre et de tisser tellement les plans sont longs, (pensées pour les cours de montage sur Steinbeck à l’UDeM, quel plaisir on a eu à couper et coller des vrais morceaux de pellicule et à collectionner les ti-bouts de photogrammes, à les perdre et les retrouver sous nos pattes de chaise, sous nos copies de livre d’école, nos caisses de Boréale rousse et nos boîtes de poutine en “styromousse”), bref, voir cette Ziva Postec, hier et aujourd’hui, dans son appartement, nous parler de son travail, de sa vie, c’est beau, c’est plein de vie. Ça inspire.

La cinéaste Catherine Hébert arrive à nous faire passer d’un sujet à l’autre, en tissant elle aussi finement, à l’image d’une sérigraphie sur écran, des bouts d’extraits d’images jamais vus de Shoah, à des bouts de la vie personnelle de la charismatique artiste.

En bref, c’est un film sur le travail, sur la dévotion, sur la passion et sur l’importance de faire certaines choses qui nous appellent. À la cinémathèque ce soir il y a eu une longue et sincère ovation. Une ovation maintenue par une forte cadence rythmique de mains qui claquent pour féliciter l’équipe, la réalisatrice, mais aussi, je pense, pour donner une tape dans le dos à toute l’humanité, en direct de cette petite salle, pour qu’elle garde sa mémoire…

Déjà en sortant du film, mon mal de ventre s’était dissipé… laissant sa place à du cœur au ventre.


19 novembre 2018