« Information insuffisante pour réponse significative »
par Ian Lagarde
La Dernière Question, d’Isaac Asimov, est une nouvelle en apparence toute simple. La même question est posée, à différentes étapes de l’évolution humaine, puis post-humaine, à des ordinateurs de plus en plus puissants.
En gros, les différents protagonistes se demandent comment redémarrer les étoiles, quand l’énergie complète de l’univers aura été dépensée. À chaque fois, des êtres de plus en plus omniscients posent la question à des ordinateurs de plus en plus sophistiqués, qui donnent toujours la même réponse: « Information insuffisante pour réponse signicative« .
Sauf le dernier, un ordinateur conscient de lui-même, utilisant tout ce qu’il reste d’énergie de l’univers, qui se pose la question à lui-même et dont la réponse renvoie le récit au début; à la création de l’univers.
C’est à la fois une réflexion sur le vertige cosmique, l’éternel recommencement et une métaphore de l’entropie narrative. Que fait-on quand on arrive au bout d’un récit? Quand un monde arrive à sa fin? Quand on n’a plus rien à découvrir?
On recommence!
La réponse, ici, se trouve donc dans le questionnement jusqu’au bout, auquel elle ne répond pas vraiment, mais relance le processus interrogatif. C’est le serpent qui se mord la queue, la boucle du recommencement, la question perpétuelle.
Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret. Ou plutôt, le Secret (le Mystère) est dans le questionnement lui-même.
Tout ça est très geek, j’en conviens, mais pas nécessairement impertinent. C’est aussi la nouvelle préférée d’Asimov, qui a quand même pondu des milliers de pages pour Fondation, sa série de romans qui a coûté une part d’acuité visuelle à des millions de fans.
Côté science-fiction, puisqu’on y est, la plupart des cinéphiles connaissent La Jetée de Chris Marker, mais elle vaut vraiment le détour pour ceux qui ne l’auraient pas vue. Ne serait-ce que pour les qualités formelles, expérimentales et narratives indéniables de ce court film, qui vont bien au-delà des règles d’un quelconque « genre ».
D’ailleurs, pour en revenir au dernier billet, il serait bien qu’on reconnaisse le social-réalisme comme un genre en soi. Un genre avec ses codes formels, ses thématiques narratives, son potentiel signifiant, mais aussi ses possibilités de dérives insignifiantes.
Le traitement de thèmes réalistes ne garantit ni l’intérêt, ni la puissance narrative, ni la pertinence cinématographique, sociale ou formelle d’un film. Comme le traitement de thèmes surréalistes, fantastiques ou excentriques ne renvoie pas forcément à l’insignifiance.
Cantonner ce type de cinéma au rayon de l’impertinence reviendrait à exclure certains des plus grands cinéastes de l’histoire: Dreyer, Méliès, Deren, Bunuel, Hitchcock, Bergman, Polanski, Fellini, Jodorowsky, Arrabal, Tarkovski, Forcier, Kubrick, Lynch, Resnais, Kurosawa, Mendoza, Weerasethakul, Reygadas et j’en passe des tonnes! Ne font-ils pas du cinéma? Sont-ils tous d’imbéciles capitalistes à la recherche du box-office avant tout?
D’un côté, nous sommes quasiment blasés d’ouverture sur le monde et sa diversité, de l’autre, nous semblons incapables d’admettre le potentiel signifiant d’une cinématographie diversifiée, originale et vivante; ouverte sur le monde et ses interrogations.
(N.B.: Il ne s’agit ici aucunement d’une défense de la stratégie commerciale québécoise des 15 dernières années, qui se situe à un tout autre niveau de discussion et que plusieurs ont déjà très habilement déconstruite.)
The Last Question, sur le site du département de physique de Princeton
Une pièce d’électronique ambiante composée pour La Dernière Question
Sur Soundcloud
La dernière question, lue par Asimov lui-même
La Jetée, de Chris Marker
26 octobre 2015