Cinéastes Invités

Je m’en fous pas mal des tréfonds des gens créatifs

par Jean-François Lesage

Pour le blogue de 24 images du mois de mai, j’ai décidé de mener une petite enquête : quels sont les aphorismes, les citations, les fragments de sagesse qui habitent le processus créatif des cinéastes et des artisans, artisanes du cinéma ? J’en ai contacté une quarantaine. Certains ont puisé dans le journal de leurs propres pensées sur le métier, d’autres nous livrent des joyaux venant d’artistes, de philosophes ou d’illustres anonymes. Voici ce que j’ai recueilli.

PS : désolé chers lecteurs, chères lectrices, je n’ai pas traduit toutes les citations en anglais. Je ne voulais pas m’aventurer dans une traduction approximative de Lord Byron, Charles Bukowski ou Virginia Woolf.

 

Jean-François Caissy

 

All work and no play makes Jack a dull boy.

Stanley Kubrick

 

Fais-le, ou ne le fais pas! Mais il n’y a pas d’essai.

Yoda

 

Vous avez besoin de votre cerveau avant et après le tournage, mais jamais pendant. Tournez simplement avec votre instinct et votre intuition.

Victor Kossakovsky

 

Image tirée de Premières armes, le dernier film de Jean-François. Nous aurons droit à une première québécoise cet automne.

 

Carlo Guillermo Proto

Au lieu de citations, j’utilise beaucoup mes propres mantras comme moyen pour rester courageux et ne pas me sentir trop seul dans le processus de création de mes films.

Chaque fois que je pense à me trouver du travail à côté du cinéma, voici ce je me dis toujours et ce que je dis aussi aux jeunes cinéastes qui me demandent conseil :

If you have something to fall back on, you’re going to fall back. In order to survive as a filmmaker, you always have to be leaning forward.

Voici les deux mantras qui me soulagent toujours quand je pense à commencer un projet et même quand je suis plongé dedans :

There’s no such thing as truth, there’s only an interpretation of the truth.

Take your time. Allow the story to ferment. It takes time.

 

Le dernier mantra est quelque chose que j’ai entendu dire par Werner Herzog. Ce mantra me fait toujours me sentir moins seul quand je fais des documentaires:

Cinema vérité is for losers… I’m not a fly on the wall but the hornet in the room.

Werner Herzog

 

 Je ne mettrai jamais d’entrevues /têtes parlantes dans mon travail pour la simple et bonne raison que je c’est ce que j’écoute toute la journée. L’idée dans mettre dans mon travail m’ennuie. Les activités que l’on fait sans penser (marcher, faire la vaisselle, conduire, prendre le métro) tout en écoutant de la musique ou en écoutant de longues entrevues sont ce qui me permet d’avoir la plupart de mes idées. J’ai toujours besoin d’entendre quelque chose à la maison : voix, musique, télévision, entrevues ou silence complet. Je regarde parfois la télévision ou des films avec de la musique qui joue en arrière-plan. C’est quelque chose que j’ai toujours fait, mais je me sentais honteux de le faire. Quand j’ai finalement découvert que Jean-Michel Basquiat faisait la même chose, je me suis senti moins bizarre et j’ai adopté cette méthode. Il y a un monologue intérieur qui se produit quand je suis dans ce monde de bruits. Je me sens peut-être en sécurité et en contrôle de mon environnement quand j’arrive à créer en sorte de chaos qui n’a de sens que pour moi.

Une chose nourrit mon processus plus que tout. C’est quelqu’un qui me dit «non» ou une lettre de refus. Je crois que c’est une chose qui motive beaucoup de gens qui ont eu une enfance difficile. Cela peut sembler grossier, mais mon plus grand mantra est «Fuck you!». C’est probablement pourquoi je suis en thérapie afin de travailler sur ma colère. Cela fait aussi parti de mon processus : être en thérapie et travailler fort pour ressentir les choses que j’ai peur de ressentir.

 

Image tirée de La résurrection d’Hassan le dernier film de Carlo.

 

Nadine Gomez

Je confesse ici que j’ai toujours soupçonné dans cette grande tâche, qui paraît si importante, du « Connais-toi toi-même », la ruse d’une cabale de prêtres qui voulaient désorienter l’homme par des exigences impossibles à satisfaire et le détourner de l’action sur le monde extérieur vers une fausse contemplation intérieure. L’homme ne se connaît lui-même que dans la mesure où il connait le monde, il ne connaît le monde qu’en lui et ne se connaît que dans le monde

Citation de Goethe tirée de La conscience de l’oeil de Richard Sennett.
C’est très phénoménologique! Et pour moi, c’est la posture la plus juste pour travailler en création, pour transposer, raconter, illustrer ou interpréter le monde. C’est-à-dire qu’il faut s’intéresser, par et à travers soi, au monde, plutôt qu’à soi sans égards à ce monde qui est, oui en soi, mais aussi devant, derrière et partout autour. Parce qu’au final, l’idée c’est bien de communiquer avec l’autre, d’aller à sa rencontre. Et chemin faisant, de vivre mieux. D’ailleurs, au passage, je réalise que je m’en fous pas mal des tréfonds des gens créatifs, si celui-ci n’a pas été muri, travaillé, réfléchi, confronté, pour être digne de devenir autre chose qu’un élan puéril qui viendra noyer un monde déjà saturé d’images, de bruit, et d’œuvres insignifiantes. Il ne faut pas se tromper, j’aime les élans, les débordements, les maladresses et les jeunes, dans ma vie et dans l’art, mais j’y crois surtout lorsqu’ils tentent d’aller plus loin, de communier, en prenant conscience du monde qui nous entoure, en prenant soin de lui et en tentant à tout prix d’éviter la médiocrité. Je pense donc qu’en lisant et relisant ce bout de Goethe, je comprends qu’il est bien question de cela avec l’art, comme dans tout, à mon sens du moins, soit de se trouver un espace et un langage qui nous libère, qui nous désaliène, qui nous relie, qui nous transcende, mais pour ça, il faut bien que l’art (et celui-celle qui le pratique) apprenne à lier, comprenne ce qui l’enchaine, s’intéresse à ce qui l’aliène et détourne les yeux du soi, pour arriver au ça, pour se transcender un peu, mettons.

 

L’image de couverture est tirée du prochain film de Nadine.

 

 

 


25 mai 2018