Jour 1
par Rafaël Ouellet
Illustration par Jimmy Beaulieu
En 1996 je débarquais à Montréal fort de ma formation collégiale en télévision pour un stage de 6 semaines chez Locomotion et Swat Film, des boîtes de production de vidéoclips et de publicités.
C’était avant internet, je n’avais pas accès à beaucoup de films, ni à des lectures sur le cinéma. Ma cinéphilie était pas mal limitée. Je commençais à peine à caresser le rêve de devenir cinéaste, ou plutôt, réalisateur.
Je ne connaissais alors que nom de 3 directeurs de la photographie. Robert Richardson parce que mon cinéaste fétiche était Oliver Stone. Michel Brault parce que nous avions analysé Les ordres. Et Pierre Mignot parce qu’il venait de tourner Prêt-à-porter avec Robert Altman, un autre cinéaste très important pour moi. Il avait aussi tourné Come Back to the 5 & Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean. Il avait une filmographie impressionnante. Cordélia c’était lui. Maria Chapdelaine aussi. Il avait filmé le documentaire Les vrais perdants!! Et aussi, surtout, le magnifique J.A. Martin photographe, alors qu’il n’avait pas 30 ans.
Ça donnait envie d’y croire. Pour un jeune qui arrive en ville dans le but de se faire une place dans ce milieu qui ne semble pas des plus accueillants, on appelle ça, un modèle.
Mon baptême de plateau, fut une publicité toute simple, en studio. J’étais assistant de production, ou plutôt, assistant de production en devenir. Je voyais ma première caméra 35mm « en vrai ». J’entendais pour la première fois un paquet de mots et d’expressions comme Gobo stand, poche de sable, boîte de pommes, une full, une demie, fresnel, 1k quartz, la 10k, c-way, dolly, crane, cube, 5 tonnes, check la gate, check le poil, magasin, reload, hi-hat, chimera, mafer clamp, grip, gaffer, gaffer tape, d.o.p., chimes, flag, net, 20×20, soie, opal, frost, boom shadow, boom up, annonce, 24mm, 50mm… Et à travers tout le brouhaha, tôt dans la journée, on me demanda de m’occuper du câble du vidéo-assist, le moniteur du réalisateur, pour ne pas qu’il se coince sous les roues de la grue. Un brin stressé, j’étais démesurément concentré à bien exécuter cette tâche pourtant toute simple. Et pour la première fois, j’étais suffisamment près de l’action pour pouvoir lire les infos sur la claquette. Scène 3/Plan 3/Prise 1. Je ne me souviens pas du nom du réalisateur. Mais celui du directeur-photo!
Quoi?? Mon premier plateau à vie, et un câble bnc (ça je connaissais ça, les bnc) me sépare de Pierre Mignot?!
Oh! Ce sera une belle carrière, je le sens.
24 mars 2015