La fois où j’ai pris Jean-Marc Vallée en otage
par Alexis Fortier-Gauthier
C’est la veille de Noël 2008. J’erre devant les présentoirs de la librairie Renaud-Bray, à la recherche des derniers achats avant le grand jour. Mon père aime les livres, ma mère aime les livres, mon frère aime les livres, mais ne les lit pas, bref, je suis au bon endroit. Je m’approche des caisses pour payer, la longue file de clients serpente au milieu de quelques îlots couverts de papier blanchi. Je remarque devant moi Jean-Marc Vallée, quelques livres sous le bras. J’aurais, d’habitude, fuit ce genre de contact humain étrange, entre un aspirant cinéaste et un cinéaste établi, mais je lui avais déjà adressé la parole, l’année précédente.
En 2007, je faisais parti d’une délégation québécoise invitée au marché du film du festival de Clermont-Ferrand, la Mecque du cinéma courte durée. J’y allais pour présenter Après tout, que j’avais réalisé à la fin de mes études à l’INIS. Jean-Marc Vallée siégeait sur le jury du festival, quelques 10 ans après y avoir présenté Les mots magiques. Nous avons fraternisé de manière superficielle, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’événement. Il avait vu Après tout et ça lui avait plu et j’avais aimé C.R.A.Z.Y, comme tout le monde.
Donc, plutôt que de l’ignorer en regardant ailleurs, l’air préoccupé (notez bien qu’on est à une époque pré-téléphone-intelligent, qui a mis un terme de manière définitive à tout malaise social possible), je me suis re-présenté. Il a été très aimable, curieux de mon parcours. Il m’a fait part de ses préoccupations concernant la post-production de The Young Victoria, mais aussi les embûches que représentaient les productions hollywoodiennes. Je lui lance au passage ma difficulté d’écrire, l’horrible syndrome de la deuxième version. Il me répond de manière empathique, sachant exactement de quoi je parlais : «C’est seulement à la naissance de mon premier enfant que j’ai vraiment réussi à prendre le temps d’écrire». En tant que jeune blanc bec, cette révélation m’a pris de court, mais m’a marqué. J’imagine que Jean-Marc Vallée me suggérait de me reproduire au plus vite pour régler mes blocages. J’étais plutôt désarçonné par le conseil.
Mais j’ai bien compris ses paroles l’année dernière, quelques temps après la naissance de ma fille. Un sentiment d’urgence nouveau est né avec elle. L’impression tangible que si je ne me secouais pas, ma vie était finie (hum, post-partum). Quand on a beaucoup de temps, on le perd. Quand on n’en a pas, il faut le trouver. Ce bon vieux Jean-Marc avait raison, l’envie naît de la nécessité.
En attendant, je suis toujours à lui prendre la jambe, au milieu du Renaud-Bray, probablement pas son moment préféré à lui. Ses coups d’œil vers la caisse s’intensifient. Je réalise enfin qu’il est pris au piège. Le guet-apens des courses de Noël. «Plus jamais!» s’est-il probablement dit, en payant ses cadeaux de dernière minute, regardant derrière son épaule pour vérifier que je ne le suivais pas.
Ma fille sais déjà comment éviter les conversations importunes…
On m’a proposé cette humble tribune pour le prochain mois. J’ai accepté en me disant que c’était finalement assez rare de pouvoir parler de ses films, en tant que «jeune» réalisateur. Nos films sont peu diffusés, mais surtout peu discutés. J’assumerai que les gens ne me connaissent pas et proposerai quelques histoires autour de ma pratique. Oh et ma blonde me conseille de vous prévenir que je suis pince-sans-rire et que j’ai le caractère très stoïcien (je tente de préserver mon visage des rides provoquées par l’expression trop marquée de mes émotions). Voilà, bonne lecture!
21 septembre 2015