La vie de château…
par Frédérick Pelletier
Rotterdam, Lille, Copenhague, Hambourg sont parmi les quelques festivals auxquels j’ai été invité avec mon film Diego Star. Souvent tenu dans une belle ville, dans un endroit attirant et dynamique, un festival de cinéma peut sembler parfois plus «festival» que «cinéma», au point qu’il n’est pas très difficile de n’y voir qu’un party — qui plus est payé par les contribuables — pour une élite culturelle. Sérieusement, combien de fois me suis-je heurté à ce préjugé ? Il n’y a qu’à lire la section «commentaires» de la plupart des journaux pour trouver ce reproche fait aux artistes de se pavaner partout dans le monde, de festival en festival, plutôt que de s’adresser au «vrai monde». (Le «vrai monde», c’est tout un problème ! Comme le «faux monde» d’ailleurs, qu’on ne croise finalement pas si souvent dans la vraie vie… On se croirait revenus au coeur de la pièce de Michel Tremblay du même nom.)
Un festival, c’est évidement une fête et on y va rarement pour s’y embêter. L’ambiance y est détendue, parfois un brin formelle, et le code vestimentaire à l’avenant. Dans certains festivals (souvent étrangement moins connus médiatiquement à l’international, comme le CPH PIX à Copenhague ou le FNC de Montréal), le cinéma est à l’honneur ; dans d’autres, c’est tout business (le TIFF illustrant bien ces festivals à saveur de marchés culturels, dont les choix éditoriaux sont plus difficiles à cerner). Il est vrai que, pour un film, ce type d’événement est un tremplin promotionnel important qui peut déboucher sur une plus grande visibilité nationale ou internationale. Pour un film d’auteur, la participation à un festival d’envergure et l’obtention d’un prix peuvent même faire une grande différence et attirer l’attention sur une œuvre qui serait autrement passée inaperçue.
Généralement, comme artisans, on y fait de belles rencontres — professionnelles, mais surtout personnelles. Le cinéma est, comme «l’affaire Kechiche» nous le rappelle tristement, essentiellement un art des relations humaines. Oui, il y a des cocktails, de l’alcool et des nuits échevelées, mais il y a aussi beaucoup de travail, dont le principal est de rencontrer le public, de l’écouter, de lui répondre avec attention. Toujours, je suis étonné du grand respect, de la politesse de ces Q&A avec un public qui n’est pas toujours d’accord avec nos choix de réalisation, qui les questionne ouvertement et nous révèle souvent une étonnante lecture de notre travail. C’est, pour moi, la partie la plus agréable, la plus utile de ces festivals…
Pour certaines personnes, les festivals sont d’abord un enjeu économique important pour les villes hôtes. Bien que les chiffres soit souvent contestés par ceux qui s’opposent au financement public de l’art, on estime que les retombées d’un festival comme Cannes sont de l’ordre de 180 millions de dollars pour un budget de production de 28 millions de dollars. En revanche, il apparaît plus difficile d’apprécier les effets concrets de la sélection de films québécois présentés dans des festivals à l’étranger. Pour moi, en dehors de la question commerciale (vente du film à des distributeurs étrangers, etc.), l’un des principaux attraits est d’ordre existentiel : le rayonnement culturel d’une petite nation comme la nôtre est garant de sa survie. Dans Les Testaments trahis, Milan Kundera écrit :
« Les petites nations. Ce concept n’est pas quantitatif ; il désigne une situation, un destin : les petites nations ne connaissent pas la sensation heureuse d’être là depuis toujours et à jamais ; elles sont toutes passées, à tel ou tel moment de leur histoire, par l’antichambre de la mort ; toujours confrontées à l’arrogante ignorance des grands, elles voient leur existence perpétuellement menacée ou mise en question ; car leur existence est question. »
C’est peut-être aussi à ça que sert la présence de films québécois dans les festivals internationaux : à construire une image de nous-mêmes ailleurs, une sorte de soft power léger, mais réel, qui permet à la culture québécoise de se démarquer sans complexe, de se redéfinir par la diversité de ses créateurs et surtout, de tout simplement exister dans un monde où tout tend à s’aplanir.
9 octobre 2013