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Cinéastes Invités

Le rêve des autres

par Groupe Épopée

Le rêve est une terrible volonté de puissance. Même quand c’est la plus gracieuse jeune fille, c’est une terrible dévorante, pas par son âme mais par ses rêves. Méfiez-vous des rêves des autres, parce que si vous êtes pris dans le rêve de l’autre, vous êtes foutus.

Qu’est-ce qu’avoir une idée en cinéma ? C’est la question que pose Deleuze au début de la conférence « Qu’est-ce que l’acte de création », en 1987, à la FEMIS.

On peut retourner la question ainsi : qu’exige l’idée de puissance pour le travail cinématographique ?

Si la création, au lieu d’être mise au monde, geste génial ou production, est avant tout une retenue, un désœuvrement (au sens de se refuser à faire œuvre), une résistance, alors aujourd’hui, où tout et son contraire est « résistance », que peut encore nous apporter ce concept ? Résistance, dans son sens « puissant » justement, ce n’est pas l’indignation, ni la dénonciation, ni la défense d’acquis. Oui, « résister signifie toujours libérer une puissance de vie qui avait été emprisonnée ou offensée » (Giorgio Agamben, Le feu et et le récit), mais résister veut dire avant tout avoir la force de ne pas s’éparpiller, de ne pas produire à tout va au risque de se répéter, de ne pas figer les formes. Résister alors c’est avant tout résister à son « moi », dans la mesure où ce « moi » est une injonction narcissique de ce monde. Une injonction à faire œuvre de soi, à devenir quelqu’un.

« La puissance est donc un être ambigu, qui veut non seulement une chose et son contraire, mais contient en elle-même une résistance intime autant qu’irréductible. » (Giorgio Agamben, Le feu et le récit). Le geste de puissance est avant tout un non geste, un geste intérieur. Ce n’est pas tellement « se trouver », « être soi-même » – encore une injonction à « se produire » comme sujet authentique, comme le veut discours de l’empowerment, aujourd’hui vidé de son sens. Il s’agit plutôt de trouver les moyens de rester fidèle à sa détermination.

Puisque rien dans ce monde ne peut se dérober infiniment à l’injonction productiviste, puisque rien, pas même la plus grande force intérieure, le plus grand chi, le plus zen des sujets, ne peut indéfiniment se poser en îlot intérieur face au chaos environnant, il importe de ne pas faire la paix, ni avec le monde, ni avec soi-même, autrement dit de prendre au sérieux la résistance qui nous travaille.

Si résistance veut dire être en guerre, alors la puissance a besoin, pour continuer à « demeurer en elle-même », de bouger sans cesse. Immobile, elle se fait capturer, coopter ou annihiler. Créer : trouver de la puissance, rester puissant.e. Surtout toujours être en mouvement pour ne pas se faire attraper, ne pas être là où on nous attend.


3 mars 2016