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Cinéastes Invités

Les moteurs

par Chloé Robichaud

Crédit photo : Kelly Jacob

Le cadran sonne autour de 4 heures du matin. Je me lève d’un trait et saute dans une douche froide. Généralement, j’applique mon conditioner tout en pensant à mes plans de la journée. Deux minutes après, trop distraite, je ne suis plus certaine du tout de l’avoir appliqué. J’en mets une deuxième fois, juste au cas. J’enfile des vêtements. Du moins, ceux qui me restent parce que je n’ai pas le temps de faire le lavage. J’embarque dans l’auto. Je mets une chanson très forte (le genre qui te ferait danser). Pour Féminin/Féminin, c’était Dancing on my own de Robyn, pour Sarah préfère la course, si mon souvenir est bon, c’était Cannons de Youth Lagoon. Je me dis que le son doit résonner dans la rue, mais je m’en fous. Et il n’y a personne dans les rues à 4 heures du matin, sauf parfois ceux qui quittent les bars. Ça me rappelle l’époque où je travaillais au club vidéo du village à 7h du matin (ouvert 24 heures)… ces étés où je marchais de mon appartement rue Saint-Elizabeth jusqu’au club vidéo rue Beaudry et que je croisais ceux qui sortaient des afterhours. Et moi, ma journée commençait. J’allais écouter des films à longueur de journée sur la télévision au-dessus du comptoir de la caisse.

J’arrive sur le plateau. Je suis toujours un peu émue de voir les affiches de la ville qui nous réservent des places de stationnement. Je suis curieuse de lire le petit nom qu’ils inscrivent sur l’affiche du genre « SPLC » ou « F/F ». Voir nos quelques camions et camionnettes m’émeut tout autant. Peut-être parce que je me souviens qu’il n’y a pas si longtemps, j’empruntais le camion de ma mère, que j’avais une caméra miniDV et un trépied, et que j’apprenais du même coup à me parker (en bon français) en parallèle. Quand on me donne des camions et des parkings, vraiment, ça m’émeut.

Je dis bonjour à l’équipe. Je dis « good morning» à Jessica, je fais une colle à Catherine qui me dit « allô ma belle », je fais des yeux sérieux à Fanny, du genre « business as usual ». Je ne suis pas diva du tout, mais quand on m’apporte un latté déca, je suis comblée. Je ne bois pas de caféine, mais le 5% de caféiné du déca me fait du bien. En général, je me sens très en forme, prête pour la journée. Par contre, à la 20e journée, Sophie a des gouttes de quelque chose à m’offrir, sûrement à l’hibiscus (?). En tout cas, ça goûte le bio. Il parait que ça fait du bien. Je dis « merci » à Sophie et on se dirige vers le blocage.

On parle de notre cadre, on trouve nos repères, puis on répète. Je ne répète pas beaucoup. À vrai dire, presque pas, peut-être même parfois pas du tout. Je préfère la spontanéité des premières prises. Yan dit « retouches et tourne ». Josianne se dirige verc les acteurs, les poudre un peu à nouveau. On est bientôt prêts à tourner. On demande les moteurs. Le son roule. On identifie la scène. Je mets mes écouteurs, mes beaux gros SONY que m’a offert le preneur de son François. Les acteurs arrêtent (des fois) de parler entre eux. Je dis 3-2-1. Ça tourne.
Là, généralement je suis heureuse. Je dis « couper », je m’approche de Macha, je lui dis deux-trois phrases. J’essaies de ne pas trop lui montrer à quel point je la trouve merveilleuse. Je lui dirai au wrap party. Parfois, on cherche plus longtemps, on change des dialogues, on improvise, on bouge le cadre, on met de la musique. Je me mets à gesticuler en parlant. Je m’emballe, je parle vite, je deviens rouge parce qu’il fait chaud. Olivier prend sa pose habituelle, la pose du penseur. Sans m’en rendre compte, je l’imite. Tout le monde remarque. On rit de nous.

On lunch en équipe. Normalement, je ne serais pas très excitée par un poulet kiev, mais celui du traiteur (quand on a le budget…) a toujours l’air génial. Je mange du dessert. Je me dis que je ne devrais pas, parce que j’en mange à tous les jours depuis le début du tournage (en plus des réglisses). S’il fait beau, je prends cinq minutes pour aller jouer au haki avec l’équipe. On essaie de battre notre record de 15 coups de suite.

On se remet vite au boulot. Je vais approuver les costumes de la scène suivante pendant que la technique prépare l’éclairage. Je fais l’aller-retour entre les départements, tout en prenant deux minutes pour regarder le scénario. Je traîne toujours une page de scénario dans ma poche de jeans. Mon texte devient bleu par la teinture. Je me dis que je devrais vraiment utiliser mon Ipad.

On tourne, jusqu’à ce que je sois persuadée d’avoir ce qu’il faut. On dit « window shot » avant le dernier plan. On s’applaudit, on se dit bonne nuit. On se ramasse. Je fais ma part, je prends au moins des sacs de sable. Ça me fait des bras. J’embarque dans l’auto. J’écoute le silence. Je rentre à la maison. Je sors les chiens. Je me couche.

Et je rêve au lendemain.

Chloé

 


27 mai 2014