Je m'abonne
Cinéastes Invités

Liv och mig

par Rafaël Ouellet

J’ai vécu l’été 2012 sur un nuage cinématographique. C’est l’été de la sortie de mon film Camion. Un film qui m’aura amené aux quatre coins de la planète, permis de rencontrer un public enthousiaste, recueillir de belles critiques, bref, une vie de rêve pour ce film qui m’est si cher.

Lors de mon séjour au festival de Karlovy Vary en République Tchèque, j’ai accordé une entrevue vidéo à un journaliste norvégien qui a rapidement repéré un tatouage que j’ai sur le bras, une référence au cinéma de Bergman, une référence qui implique aussi Liv Ullmann. Quelque chose de geek mais d’important pour moi. C’est beaucoup à cause de Persona si je fais du cinéma aujourd’hui. Je ne peux le nier, je dois même l’assumer. Le porter sur ma peau. Une bonne partie de l’entrevue a donc été consacrée à Bergman le scandinave, et à Liv la norvégienne. C’était au début juillet.

Pendant le FFM, toujours en 2012, Liv Ullmann est venue à Montréal, accompagnant la présentation du documentaire Liv och Ingmar. La défunte émission Voir à Télé-Québec (depuis remplacée par Formule Diaz) a décidé de consacrer un reportage sur le passage de cette grande femme, actrice, réalisatrice et humaniste. Et à qui a-t-on confié la réalisation de ce topo?

 

 

Dans l’ombre, caché derrière un caméraman, avec le souci de ne pas déranger madame Ullmann, avec le souci de pas avoir l’air d’un obsédé, c’est de loin que j’ai assisté à la présentation du film au cinéma Impérial et à la conférence de presse le lendemain. Moments magiques. Anecdotes pour le passionné. Le documentaire est fascinant, je vous le conseille.

La suite, c’est l’entrevue en tête à tête, mené par Sébastien Diaz. Il connait mon amour pour cette femme, l’équipe technique aussi.

Hi Miss Ullmann, I’m the director for this interview, welcome. Do you want to sit on this side or this side?
(Elle doit bien avoir un meilleur profil, elle doit bien le connaitre.)
Oh, this side, thank you.
Ça tourne les gars? Sébastien, c’est quand tu veux…

Très belle entrevue. Je regarde Liv dans le moniteur, je la regarde en «vrai». Et pendant que Diaz avance avec ses questions, je me demande encore «Est-ce que j’y vais? Est-ce que j’y vais pour la version simple? La version fan? Ou encore, la version creep?»

Après l’entrevue.
Miss Ullmann, I have three things I want to ask you.
(Me voilà lancé, je ne peux plus reculer. 3 choses donc, dans l’ordre.)
First, I want you to have this dvd, it’s my last film, I’m proud of it. Maybe you’ll watch someday, maybe you won’t, but i make films because of Bergman and his friends, so there you go.

Deuxièmement, je lui demande de me dédicacer le livre que Marc Gervais a écrit sur l’oeuvre de Bergman, un beau livre dont elle a écrit la préface. Ce film fut ma porte d’entrée dans le monde du maître.

Liv est très généreuse, je la sens sincère.

One last thing. Persona is so important in my life that I had, and and I know it might seems crazy, but iIhave this tattoo on my ar…
Mister Ouellet?

Derrière moi j’entend les mâchoires des membres de l’équipe tomber. Mon coeur s’arrête. Elle se lève de sa chaise, d’un bond.

What?
Are you mister Ouellet?
(En fait elle prononce Oulé, mais bon…)

Quelqu’un quelque part lui a montré l’entrevue accordé au journaliste norvégien. Tout ça l’a interpellé, et elle me raconte que depuis son arrivée, elle veut rencontrer ce Mister Oulé avec le tatouage et son admiration totale pour Bergman. Le hasard fait partie du cinéma, mais aussi de la vie.

Comme les médias québécois ne courent pas après Liv Ullmann, elle a tout son temps. J’ai l’énorme chance de discuter avec elle pendant une vingtaine de minutes. Ses projets, sa vie actuelle, Bergman, des anecdotes, elle pose des question aussi. Et on s’amuse à recréer un petit moment de Persona. C’est pas rien.

 


5 mars 2015