Matías Meyer, blogue n°2
par Matías Meyer
Encore une fois, je fais un rêve:
je conduis dans la ville de Mexico, dans un viaduc, c’est-à-dire trois ou quatre voies, des ponts et beaucoup de voitures. Je suis seul à l’avant. Derrière, il y a Alex, un de mes meilleurs amis qui est aussi le concepteur sonore de tous mes films et le producteur du dernier. Tout d’un coup, noir total, je ne vois plus rien, mains au volant. J’ai peur de faire un accident. Alors je lui demande de me guider. Lui, très calme, ne se fait pas de souci, il parle au téléphone. La vue revient, je conduis un moment puis encore une fois le noir.
L’interprétation de ce rêve a l’air évidente, mais peut-être que pour moi…
En effet, je suis à quelques jours de devoir boucler le montage image final d’Amours Modernes, mon dernier long métrage. Nous sommes très près du but, je ne sens pas qu’on se précipite, mais il y a quand même des dernières décisions à prendre et je ne suis pas encore sûr des meilleurs choix. C’est donc moi qui conduis, qui dirige, et je ne vois pas le chemin, c’est noir. Mon producteur, qui est très investi dans le film est assis sur la banquette arrière, il ne me guide pas mais m’aide quand même à me calmer et à retrouver la route. Il m’accompagne dans l’auto mais ne tient pas le volant.
Je sens que quand je raconte un rêve, ou que quelqu’un m’en raconte un, l’autre n’est pas intéressé, comme s’il était impossible de s’investir dans le rêve d’un autre comme on s’investit dans le sien. Le vécu onirique impartageable. Un peu comme l’expérience de spectateur de cinéma.
Pour l’instant j’ai deux versions quasi définitives du montage, il faut juste en choisir une.
Après la projection en studio vendredi dernier, le producteur donne ses derniers commentaires et affirme qu’il est 100% sûr qu’ils vont fonctionner et que nous sommes à un “out” de la victoire. Comment peut-il être 100% sûr? Les chiffres et les pourcentages me semblent hors-jeu dans ce processus. Enfin tant mieux qu’il soit si sûr car moi je ne le suis pas encore.
Lundi matin, une des comédiennes, la plus célèbre du cast, et sa représentante, viennent voir le film projeté en salle. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, mais je vois quand même le film assis à côté d’elles, pour profiter du grand écran et parce que le producteur me le demande. Les commentaires à la fin tournent autour des quantités de choses filmées et non-gardées puis surtout d’une scène, qui ne figure pas dans le montage et qui peut créer plus d’empathie pour le personnage (que joue la comédienne présente). Même si son commentaire est sur elle-même, elle a sûrement raison.
Quand je montre mon film pendant le montage, pour avoir d‘autres perceptions et points de vue, j’essaie toujours d’être conscient que, comme dans un rêve, chacun voit et vit le film à sa façon très personnelle. C’est donc bien de connaître les gens qui voient le film. Connaître leurs goûts et leur position vis à vis du film, pour pouvoir prendre leurs commentaires avec mesure, sachant d’où ils viennent. Ceci ne veut pas dire qu’ils n’ont pas raison.
Par exemple, hier, le directeur photo a vu le film monté pour la première fois. Comme je pouvais m’y attendre, il a fait un commentaire à propos de la chronologie et de la continuité de lumière entre quelques scènes. Il a en effet raison, la version du montage qu’il a vue joue avec cette discontinuité (c’est la version préférée du producteur). J’envoie une autre version au directeur photo, où la lumière est en continuité. Évidemment il la préfère, et peut-être que moi aussi.
Le monteur, lui, veut favoriser la fluidité, le rythme, quitte à enlever quelques moments qui étoffent les personnages. Mais il est quand même assez à l’écoute de tous les commentaires.
Et moi, comme dit Bresson, je dois me diriger moi-même. Je m’en vais boire et manger avec des amis, meilleure chose à faire pour m’aider à prendre la meilleure décision.
15 février 2019