Cinéastes Invités

Monsieur Netflix

par Robin Aubert

– Ah ben, si c’est pas Monsieur Netflix !

– Ah ben, si c’est pas chose qui me traite de Monsieur Netflix.

– Comme ça, t’as décidé de te faire flatter par la grosse machine ?

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ben là…à moins que t’ailles vécu sur une autre planète la dernière année, disons que tout le conflit entre le deal que le gouvernement canadien a fait avec Netflix, c’est pas propre. T’en penses quoi ?

– De Netflix ou du gouvernement fédéral ?

– Ben…de tout ça ?

– Les libéraux avaient juste à négocier comme du monde sans pisser dans leurs culottes.

– Mais, je veux dire, tu te sens bien avec le fait qu’ils vont distribuer ton film à travers le monde ?

– Pis que ça donne la chance à des millions de gens de voir le film ? Pas mal oué.

– On fait des films pour qu’ils soient vus sur grand écran, non ?

– On fait des films pour qu’ils soient vus, effectivement.

– Le format est pour beaucoup dans l’équation.

– C’est une question de point de vue.

– J’te suis pas…

– C’est évident qu’on le fait pas dans le but d’être visionné sur un Iphone, mais le cinéma c’est pas juste une question de “grand écran”. C’est faire ce que la T.V. fait pas avec ses multiples valeurs de plans qui va de la narine au trou de cul du comédien histoire de tout couvrir pour laisser le choix au monteur de décider du point de vue de la réalisation.

– Le cinéma ça se visionne dans une salle de cinéma.

– Je veux ben croire, mais si les propriétaires de salles veulent pas de ton film, tu fais quoi ? Quand ça devient plus difficile de le voir à Chicoutimi qu’en Russie, y’a un criss de problème.

– Finalement c’est un maudit beau pied de nez à l’industrie du Québec qui t’a boudé.

– Je vois pas ça de même. Faut pas leur en vouloir. Ils sont dépassés par ce qui est en train de se tramer dans le monde.

– Dans le sens ?

– L’industrie change. Eux ce qu’ils veulent c’est cultiver le public qui leur est fidèle depuis des années en croyant que leurs enfants vont suivre sans poser de question. Je m’excuse, mais distribuer un film de manière moderne c’est pas juste gérer une page Facebook. C’est aux propriétaires de salles aussi à faire leur job pour promouvoir les films. C’est pas normal que Nancy à Sorel réalise trois semaines plus tard que le film était dans un cinéma à côté de chez elle pis elle le savait pas.

– Ils font ce qu’ils peuvent.

– Peut-être mais ils font pas ce qu’ils disent.

– ?

– Y’arrêtent pas de dire qu’ils veulent plus de films de genre, mais quand y’en ont un entre les mains, y savent pas quoi faire avec.

– Nos méthodes ont quand même fait leurs preuves.

– Jamais dit le contraire, je dis juste qu’il serait peut-être temps de les revoir.

– Comme quoi ?

– Ben d’abord en arrêtant de se dire que l’idée du siècle c’est de placarder le poster du film sur un autobus voyageur comme si c’était la tournée des Harlem Globetrotters ? L’autre affaire c’est paye-donc tes comédiens qui font la tournée de promotion pour vendre ton film, tu vas voir le degré d’enthousiasme s’élever. C’est un travail promouvoir un film pis ils le font à ta place. C’est eux-autres qui se tapent les milliers d’entrevues pis la radio pis les chambres d’hôtel pis l’attachée de presse qui te tire le bras de droite à gauche comme si t’étais un enfant de la maternelle qui venait de manger du sable…qui te regarde de travers parce que t’as gardé ta tuque pour la photo. Raymonde à Shawinigan, penses-tu vraiment qu’elle va pas aller voir le film parce que j’ai décidé de garder ma câlice de criss de tabarnack de tuque sua tête ? C’est pas en faisant trois articles rapides dans le lounge d’un hôtel chic que tu vas chercher le monde chez eux.

– Ouain, mais Netflix…

– Ouain quoi Netflix  ?

– C’est informel.

– C’est vrai t’es plus obligé de faire le paon devant les propriétaires de salle pour qu’ils considèrent ton film.

– ?

– Tu trouves ça moderne toi de te ramasser en tapon dans un hôtel des Laurentides à côté de Ginette qu’y’a le cinéma Saint-creu-creu-des-meu-meu pis Gérard qu’y’a celui de Saint-Versifale-de-Newton pis tenter de faire le smat pis la conversation alors qu’eux-autres tout ce qui veulent c’est prendre un selfie avec Michel Côté pis enfin voir la bande-annonce du prochain film de hockey ?

– Ouain j’avoue que…

– La cerise sur le sundae : finir ça avec une promenade en calèche dans Saint-Sauveur pour promouvoir le prochain film de capine.

– Au moins il va y avoir une sortie DVD / BLU-RAY de ton film.

– Non.

– Non ?

– Non.

– Qu’est-ce qui t’ont dit ?

– Y m’ont rien dit.

– Tu veux dire ?

– J’veux dire que je l’ai su par des gens qui m’ont écrit.

– Tu me niaises ?

– Dès que les chiffres de la deuxième semaine étaient pas bons, y m’ont jamais rappelé.

– Mais pourquoi pas de DVD ?

– C’est la politique de la grosse boite. Si ton film est en deçà de 250 000$ entrées, pas de DVD.

– Mais est-ce qu’ils connaissent un peu les fans de genre ?

– J’pas certain qui connaissent grand chose du genre tout court. On m’a dit le public est pas encore prêt pour le film de genre Québécois pis en même temps y’en font jamais ce qui fait qu’ils développent pas ce créneau-là.

– Ça aurait été la bonne occasion.

– Tu iras leur dire.

– Ça te mine pas.

– Je trouve des fois que le public a le dos large.

– Le DVD je parle.

– Le film a été acheté par des distributeurs Espagnols. Après une sortie en salle, ils vont faire une sortie DVD/Blu Ray pis tu peux être certain que c’est cette copie-là que je veux.

– Tu les as rencontrés ?

– Des vrais passionnés du 7ème art. Quand tu leur parles de Bresson pis d’Antonioni  pis de catharsis ils se contorsionnent pas la face comme si t’étais en train de leur enfourcher le cul d’un manche a balais.

– Avoue que Netflix est chiant de le sortir partout sauf au Canada.

– C’est pas la faute à Netflix.

– Tu veux dire ?

– Je peux rien dire.

– Tu peux rien dire ?

– Pour le moment.

– Mais ?

– Ça finira bien par sortir.

– Mais en gros ?

– En gros, la distribution est une patente qui sert celui qui fait de l’argent. Celui qui en fait moins va tout faire pour faire chier l’autre.

– Mais encore ?

– Je me garde une petite gêne. J’veux pas me réveiller un matin avec une tête de cheval dans mon lit.

– Oui mais c’est le film qui est important.

– Ah ah, est bonne.

– La grosse boite d’ici en voulait à Netflix ?

– Je sais pas, j’imagine qu’y’était en criss d’avoir refusé le film deux fois pour la distribution à l’internationale.

– Ah oui ?

– Mais je les remercie, c’est ça le pire. Ma vendeuse en France pour l’internationale, elle a toujours cru en mon film. Quand elle l’a vu pour la première fois, elle s’est pas dit “Criss, sont où les notes de piano ?….pis virage y’est où Guillaume Lemay-Thivierge qui fait des stépettes en bobette ? ».

– Une chance que ça reste entre toi pis moi ce que tu me dis parce que tu risquerais de pas trouver de distributeurs pour le prochain film.

– T’as probablement raison, gardons-ça pour nous autres histoire de demeurer des bons petits enfants dociles qui remettent jamais en question les méthodes de 2-3 têtes dirigeantes. Si y’a une chose que je dirai jamais par peur de plus travailler demain c’est qu’on est quand même encore à l’ère du mon oncle qui brasse ses clefs dans ses poches pendant qui t’ébouriffe le dessus des cheveux comme un poodle en te disant « Y’est mieux d’être bon ton film ! ».

– On t’a déjà dit ça ?

– On m’a même déjà dit « Viens dans ma boite, tu vas voir que je vais te dompter ».

– Te dompter ?

– C’était une boutade, mais on s’entends-tu qu’une boutade de mon oncle, ç’a toujours un fond de vérité.

– Le point de vue de quelqu’un, ça se dompte ?

– Ça ben l’air.

– Tu me fais marcher ?

– Carolle Brabant s’en va. On a remercié Monique Simard pour ses beaux services pis faudrait que je me dise que tout va bien dans le monde des lutins ?

– Ça te fait peur ?

– Un peu…y reste encore des Marie-France Godbout pis des Mélanie Hartley, pis des Odile Méthot…mais t’sais, des Méthot, des Hartley pis des Godbout, ça en prendrait partout…

– Les distributeurs, les programmateurs, c’est peut-être tout simplement pas une race que t’aimes.

– Au contraire. Mon beau-père représente tout ce qu’a été la distribution et la programmation à la télé pendant des années. On s’entend peut-être pas sur tout, mais criss j’suis assez intelligent pour reconnaître son flair pis sa curiosité pis il l’est assez pour reconnaître qu’au deuxième visionnement de mon film y’a compris les risques pis les choix que j’ai décidé de pendre. Même si y’est à retraite, y continu de s’informer, de s’intéresser à ce qui se fait ailleurs. Y’a décidé de pas s’endormir sur sa chaise. C’est son choix à lui, pas le mien.

– T’es amer ?

– Tout le contraire.

– C’pour ça le sourire en coin ?

– C’pour ça le sourire en coin.

– Qu’est-ce qui faut te souhaiter pour le prochain film ?

– Peut-être travailler avec les mêmes distributeurs.

– Tu me fuckin’ niaises ?

– J’ai toujours aimé les mon oncles. Les vrais. Ceux qui boivent du vin dans un vinier en carton en s’imaginant que c’est du Châteauneuf-du-Pape. Ceux-là, je les connais comme le fond de ma poche depuis ma tendre enfance. C’est en les observant pis les écoutant que j’ai compris qu’ils font ce qui peuvent avec ce qu’ils ont. Quand t’es pas by the book, ça les fatigue, mais ils t’acceptent parce qu’ils peuvent pas s’empêcher de t’aimer pareil, pis ça ben, y’a rien à faire, ça me touche.

– C’est contradictoire en ciboulot ton affaire.

– Ma sœur a deux beaux gars que j’aime d’amour. Le plus vieux a 16 ans. Comment qui m’appelle tu penses ?

***

 

Ce blog tire à sa fin. Je dois absolument remercier la lumineuse Apolline Caron-Ottavi sans qui ces textes n’auraient pas été possibles. Et bien sûr la revue 24 images qui à ce jour est la seule à avoir distribué en DVD mon film indépendant À quelle heure le train pour nulle part. Ce coup de pouce est arrivé au bon moment. Pour cela je ne serai jamais assez reconnaissant. Je ne lis pas les revues de cinéma, certes, mais si on me dit qu’un article en vaut la chandelle, j’aurai la curiosité nécessaire d’aller y jeter un coup d’oeil. Ce fut le cas pour l’article de fond sur Cohen de Jean-Phillipe Desrochers dans Séquences. Même chose pour la sortie du film de Luc Bourdon avec le très beau texte de Robert Daudelin. Premièrement, ça donne le goût de voir le film monté par l’irremplaçable Giroux. Deuxièmement, je veux savoir c’est qui moi Koulechov pis Poudovkine. Je ne crois pas que tous ces passionnés du 7ème art vivent sur l’or en écrivant pour Séquences ou 24 images. J’éprouve donc un profond respect pour leur travail. Nous avons besoin l’un de l’autre pour avancer. Je laisse ma place à Sophie Bédard Marcotte. Vous risquez de découvrir une cinéaste passionnée avec une signature bien à elle. Il suffit de voir son film pour le comprendre.

À la prochaine chicane.

 


28 février 2018