Nadine Gomez, 31 décembre 2018
par Nadine Gomez
Cher journal,
Et voilà l’année qui tire à sa fin ! Fin d’année = retour sur tout et tout y passe. Ai-je été sage? Qui veux-je voir plus souvent l’année qui vient ? Qu’est-ce que j’ai raté ? Me suis-je fait un ennemi ? Aucun? Il faudra s’y mettre alors ! Il me semble qu’une année sans ennemi est une année mal vécue, car on aura fait bonne figure partout et choqué personne. L‘ennemi ne se cache jamais bien loin.
Perfect Blue / Black Swan / Enemy / Double identité
Mon amie Effie m’a aussi dit d’accueillir l’échec. Ça a l’air simple dit vite de même, mais ça ne se fait pas en chantant « Minuit Chrétien ». Encore faut-il lui ouvrir sa porte à l’échec, lui faire un feu de foyer, l’amadouer avec un petit verre de lait de poule, et vlan, l’assommer pour le remettre à la porte.
Fin d’année donc, je compte mes ennemis, j’accueille l’échec, je m’en débarrasse et je me pose des grandes questions pour commencer du bon pied et entamer des conversations qui finiront en décembre prochain. Par laquelle pourrais-je commencer ? … Faut-il avoir des enfants ? Ça écœure les amis-es célibataires. Acheter ou louer ? Trop 2018. Netflix ? Trop tard. Non, il me faudrait une question consistante mais légère, à lancer à mes convives en attendant le décompte de minuit, quelque chose qui mette la table, qui ouvre l’appétit, quelque chose qui nous fera débattre longtemps mais sans chicane, quelque chose comme … « Qu’est-ce que l’art ? »
© Nadine Gomez
C’est sûr qu’avec ça on est en Cadillac, clairement pas un sujet réglé, loin de l’être, et en plus, j’augmente mes chances de me faire des ennemis. Discussions animées en perspective, ou roulement d’yeux et désintérêt total (mais ça, on y échappe pas), l’important c’est de faire jaser. Bon, mon argumentaire est encore à parfaire, mais par chance Étienne, avec l’aide d’Alexis et Vanessa, a déjà fait un bon bout de chemin sur le sujet, et avec leurs grands efforts de réflexion et leur érudition remarquable, il y a de quoi mettre du pain sur la table. Les prochains soupers mondains n’ont qu’à bien se tenir, la table est mise ! Je m’y mettrai moi-même d’ailleurs… dès l’année prochaine.
4 mois, 3 semaines, 2 jours / Le cheval de Turin / Un amour d’été / Chronique d’un été / La bête lumineuse
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« À l’écrivain, au philosophe, on demande conseil ou avis, on n’admet pas qu’ils tiennent le monde en suspens, on veut qu’ils prennent position, ils ne peuvent décliner les responsabilités de l’homme parlant. (…) Le peintre est seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir d’appréciation ».
Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit
Le cinéaste, lui, a le cul entre deux chaises.
© Nadine Gomez
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Dans Homo spectator de Marie-Josée Mondzain, elle parle du courage de donner à voir, et du voir, comme d’une relation respectueuse et ouverte entre le créateur et le spectateur. Les images sont des lieux à investir, non pas pour piéger l’autre et le forcer à penser comme nous, « En quoi il construit la liberté de celui à qui il s’adresse ».
J’pense que je n’irai pas voir le nouveau Von Trier, et encore moins le Gaspar Noe, il n’y a pas beaucoup de place pour l’autre chez eux.
Je préfère plutôt repenser à cette expo de Gauri Gill que j’ai vu au MOMA PS1 cet été, et qui m’a beaucoup plu. Ces visages masqués donnent de la liberté, autant au sujet, qu’à celui qui regarde.
© Acts of Appearance de Gauri Gill
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Xav m’a parlé d’un petit film l’autre soir au bar. Ça m’a rappelé mon amour intarissable pour les personnes âgées qui chérissent et veillent sur ces choses qui disparaissent. Hommage à mon ami, feu Leo Leonard, qui m’a donné mon premier film.
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Ce matin, à la lueur des flocons, Alex m’a raconté ceci : « J’ai rêvé que j’étais invité à une projection test du dernier film de Denis Côté qui s’appelait ANTHROPOCÈNE et que je te faisais honte avec comme seul commentaire constructif de changer le titre… Ah, et j’ai trouvé ça, « Sometimes, LOL should not be an option » ».
Wow. Grosse nuit.
Un peu plus tard, tous assis près du feu, Lisette, ma belle-mère, nous partage qu’elle écoute tous les soirs les nouvelles, « parce que le jour où je vais mourir, c’est ben eux qui vont me l’annoncer ! » Puis juste avant d’aller dormir, Roger, mon beau père, heureux et rassasié, nous rappelle satisfait que « en tout cas, on a eu du fun s’a glace ! »
Il faut retrouver de l’intérêt et de l’amour pour ces grandes vérités qui ne sont pas toujours là où on croit.
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Les pages de mon cahier tirent à leur fin. Au revoir cher journal, et à l’année prochaine. On a beaucoup à faire en 2019, la liste des résolutions est longue, pour tout le monde, en tout cas, elle devrait l’être.
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Comme un Journal ne s’écrit jamais seul, je tiens à remercier chaleureusement, pour son aide précieuse et sa lecture affutée, Alexandre Lampron, ainsi que Mara Gourd-Mercado, Marie-Ève Juste, Étienne Lepage (avec Alexis Richard et Vanessa Molina), Jérémie McEwen, Xavier Constant, Eftihia Mihelakis et la famille Lampron pour les échanges nourrissants. Que ces échanges perdurent à jamais ! Merci à Hélène Desbiens pour la typo personnalisée du Cher journal. Merci aussi à 24 Images pour cet espace d’écriture libre et formateur et à Apolline Caron-Ottavi pour l’invitation et la mise en ligne, jusqu’à la dernière minute. Xxx BONNE NOUVELLE ANNÉE !!!!!
The Office
31 Décembre 2018