NOUS affirmons que l’avenir de l’art cinématographique est la négation de son présent
par Jean-François Lesage
Pour le blogue de 24 images du mois de mai, j’ai décidé de mener une petite enquête : quels sont les aphorismes, les citations, les fragments de sagesse qui habitent le processus créatif des cinéastes et des artisans, artisanes du cinéma ? J’en ai contacté une quarantaine. Certains ont puisé dans le journal de leurs propres pensées sur le métier, d’autres nous livrent des joyaux venant d’artistes, de philosophes ou d’illustres anonymes. Voici ce que j’ai recueilli.
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Richard Brouillette
« De la lutte entre l’idée et la matière sort la forme – et le reste, c’est vraiment de la sauce sur les cailloux. »
«
N’attendez pas la forme avant la pensée… mais en même temps, elle sera là. »
Deux citations de Jean-Marie Straub, tirées de Où gît votre sourire enfoui, de Pedro Costa. Je pense que celle de la lutte entre l’idée et la matière vient originalement de Schönberg, mais je ne suis pas certain. Ces deux citations étaient épinglées dans ma salle de montage, pendant que je travaillais sur L’encerclement (l’image de couverture est tirée de ce film).
« Le règne de la peur multiforme est terminé.
Dans le fol espoir d’en effacer le souvenir je les énumère :
peur des préjugés – de l’opinion publique – des persécutions – de la réprobation générale
peur d’être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement
peur de soi – de son frère – de la pauvreté
peur de l’ordre établi – de la ridicule justice
peur des relations neuves
peur du surrationnel
peur des nécessités
peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l’homme – en la société future
peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant
peur bleue – peur rouge – peur blanche : maillon de notre chaîne.
Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse. »
Paul-Émile Borduas, extrait de Refus global.
C’était épinglé (et ça l’est toujours) dans ma première salle de montage (à la première Casa), pendant que je travaillais sur Trop c’est assez, puis dans ma 2e salle de montage, à la campagne, pendant que je travaillais sur L’encerclement.
Cette image est tirée du film Trop c’est assez :
« C’est encore ainsi que je conçois l’approche du cinéma-direct; il faut pouvoir participer à ce que font les gens si l’on veut que les gens que l’on filme participent au film. Car d’eux-mêmes, ils savent naturellement produire les événements qui expriment au mieux la réalité. Le choix des scènes que nous choisissons de filmer provient de notre participation (signification/exposition) d’abord; c’est d’une expérience vécue qu’il s’agit. À mon sens, ce sont là les premiers actes décisifs d’un cinéaste, qui détermineront la composition d’un film qui cherche à communiquer réellement. Il faut aimer vraiment le sujet que l’on traite. La première responsabilité est vis-à-vis soi-même. »
« Il dépend des cinéastes eux-mêmes qu’aucune des étapes de l’expression cinématographique ne devienne une “affaire classée”, sous peine de devenir cinéaste de service dans un cinéma de type industriel. »
Extraits de Propos sur la scénarisation de Gilles Groulx
« NOUS déclarons que les vieux films romancés, théâtralisés et autres ont la lèpre.
– N’approchez pas d’eux !
– Ne les touchez pas des yeux !
– Péril de mort !
– Contagieux !
NOUS affirmons que l’avenir de l’art cinématographique est la négation de son présent.
La mort de la “cinématographie” est indispensable pour que vive l’art cinématographique.
NOUS appelons à accélérer sa mort.
Nous protestons contre le mélange des arts que beaucoup qualifient de synthèse. Le mélange de mauvaises couleurs, même idéalement choisies dans les teintes du spectre, ne donnera jamais du blanc, mais de la saleté.
On arrivera à la synthèse au zénith des réussites de chaque art, et non avant.
NOUS épurons le cinéma des kinoks des intrus : musique, littérature et théâtre, nous cherchons notre rythme propre qui n’aura été volé nulle part et nous le trouvons dans mouvements des choses.
NOUS appelons :
– à fuir –
les doucereux enlacements de la romance,
le poison du roman psychologique
l’étreinte du théâtre de l’amant
à tourner le dos à la musique
– à fuir –
gagnons le vaste champ, l’espace aux quatre dimensions (3 + le temps), en quête d’un matériau, d’un mètre et d’un rythme bien à nous.
»
Extrait de Nous, manifeste de Dziga Vertov, que je citais dans mon segment de Un film de cinéastes.
6 mai 2018