Once Were Warriors
par Caroline Monnet
J’ai très longtemps cherché une copie du film Once Were Warriors que j’avais vu beaucoup trop jeune à l’âge de 12 ans. Ce film, à l’époque, m’avait beaucoup marquée, presque traumatisée par sa violence et son sujet cru.
Il y a deux ans, j’ai eu envie le revoir, principalement parce que je me lançais dans l’écriture d’un scénario de long métrage dont l’histoire se passe au cœur d’une réserve autochtone. Mais j’étais incapable de le trouver. J’ai cherché partout. La seule copie disponible du très regretté Boite Noire était constamment louée et on n’était pas capable d’identifier le client. J’ai cherché en ligne aussi, sans succès. C’est finalement lors d’un récent séjour à Winnipeg et d’un passage obligé au Movie Village, que je suis tombée par hasard dessus. J’étais extrêmement contente de finalement pouvoir revoir ce film.
Les années qui passent peuvent être difficiles pour un film : quelque fois, ça vieillit mal. C’est donc une surprise de constater que Once Were Warriors a encore toute sa place dans le paysage cinématographique, et cela plus de deux décennies après sa sortie. En fait, on pourrait même dire que son impact viscéral a augmenté. Bien que nous soyons aujourd’hui plus habitués à la violence sur écran qu’à la sortie du film en 1994, cette violence plus extrême oui, est aussi plus stérile. Dans Once Were Warriors, le personnage de Jake Heke (interprété par Temuera Morrison) frappe sa femme Beth (interprété par Rena Owen) d’un coup de poing bien senti dans le visage. La caméra est placée directement derrière son épaule et met le public aux premières loges pour témoigner de l’horreur de la violence conjugale. Cette violence, dans Once Were Warriors, est filmée sans pudeur et banalité, telle une présence constante et naturelle. Et c’est justement ce qui rend ce film bouleversant.
Le réalisateur Lee Tamahori livrait à l’époque quelque chose qui n’avait encore jamais été vu dans un film néo-zélandais. Il représentait un aspect très peu connu de la vie moderne des Maoris, en passant par les abus domestiques, les gangs de rue, l’humour et les traditions. Si Once Were Warriors n’était pas le premier film néo-zélandais où tous les créateurs clés, écrivain réalisateur et acteurs étaient Maoris, c’était bien le premier à représenter un regard de l’intérieur et à affronter la question sociale du dysfonctionnement Maori, une partie importante du discours social du pays. Dans ce sens, le film rejetait explicitement la facture coloniale condescendante et stéréotypée de l’autochtone quasi mystique très souvent employé dans les films à la fin des années 1980. Au contraire, il utilise un réalisme social qui frappe exactement aux cordes sensibles et qui cherche à faire ouvrir les yeux sur une réalité bien ancrée de la société moderne. Comme pour souligner ce sous-texte subversif, le réalisateur Lee Tamahori ouvre son film sur une image parfaite d’un lac de montagne. Il déplace ensuite sa caméra pour révéler un panneau publicitaire d’une compagnie d’électricité surplombant une autoroute adjacente à un quartier malfamé de la ville. Nous sommes loin de l’image propre et verte des brochures touristiques. Dès ce premier plan, on nous dit: attachez-vous, parce que ça va être difficile.
Once Were Warriors est structuré comme un conte de Dickens. Il met en scène une famille pauvre aux prises avec une figure paternelle maléfique. L’histoire prend principalement place dans leur maison délabrée. Le père est un homme violent, sexuel et dur, récemment licencié. Sa relation avec sa femme vacille intensément entre amour et haine, jumelant abus extrêmes et séduction. Pendant ce temps, leurs cinq enfants essaient de gérer leur vie chacun à leur manière. Le fils ainé Nig (Julian Arahanga) se joint aux gangs Māori, tandis que le deuxième fils Boogie (Taungaroa Emile) est arrêté pour un petit crime et mis dans un pensionnat pour garçons. Leur fille Grace (Mamaengaroa Kerr-Bell) apparaît comme étant le seul noyau solide de la famille. Elle s’intéresse profondément à ses frères et sœurs et s’efforce de les protéger, surtout dans les moments où leur mère ne peut pas.
Au final, le film suit surtout l’histoire de la mère qui, après avoir enchaîné les mauvais choix de vie, s’est résolue à s’échapper. C’est l’approche rédemptrice du film qui dresse une image puissante et déchirante. Once Were Warriors reste un film important dans le paysage cinématographique autochtone pour tout ce qu’il représente et pour l’auto-détermination qu’il symbolise.
Il faut noter que le film a connu un succès immense à l’international, mais plus particulièrement en Nouvelle-Zélande, où il a battu tous les records à l’époque, devançant même Jurassic Park au box office. Cela n’avait encore jamais été accompli pour un film entièrement Maori.
Aujourd’hui, beaucoup de très bons films Maoris sortent de Nouvelle- Zélande. On pense aux plus connus comme Boy ou Hunt for the Wilderpeople de Taika Waititi (qui signe d’ailleurs la réalisation de Thor : Ragnarok), ou encore le très remarqué Waru au dernier festival International de Toronto, réalisé par un ensemble de huit femmes Maoris.
6 octobre 2017