Parler pour voir : paroles de cinéastes.
par Frédérick Pelletier
«Au début, je fonctionnais à l’instinct, alors qu’à la fin, j’étais conscient. On pourrait penser le contraire, mais c’est beaucoup plus difficile de faire des films quand on est conscient et que l’on mesure presque tout. À l’époque, on ne mesurait rien. On faisait tout par instinct. Comme si quelqu’un d’autre était maître de nous. Une espèce de force au-dessus de nous.»
– Michel Brault
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Il est des livres de cinéastes auxquels je retourne toujours — un passage, une page, un aphorisme pour certains. Aucun de ces livres n’est à proprement parler théorique ou pratique, mais ils sont plutôt la mise en mots de sentiments, d’émotions qui dictent les choix de réalisation des auteurs. Bergman trône en haut de ma pléiade bien personnelle et il ne se passe pas un an sans que je n’ouvre au hasard des pages de Laterna Magica ou d’Images — mon préféré. Étrangement, je relis ces livres dans des périodes de doute, entre deux projets ou le cul entre deux chaises, entre la vie et le travail. Chez Bergman, le cinéma et le théâtre ont presque tout dévoré et pourtant, chaque page est un rappel de combien l’art n’est pas en dehors de la vie, mais «est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».
Il y a bien sûr ces fameuses Notes sur le cinématographe, de Robert Bresson. Parfois abscons, ces aphorismes me sont souvent apparus comme salvateurs à la veille d’un tournage difficile et il m’est arrivé de m’y référer en leur prêtant (abusivement) la même autorité qu’un croyant à la Bible. Étudiant à Concordia, avec un collègue, nous avions même décidé d’accoler à chaque magasin de notre caméra 16mm une sentence du petit livre de Bresson comme certains vieux accrochent un crucifix à leur rétroviseur : au cas où…
Le plus beau livre de cinéaste que j’ai lu ne parle même pas de cinéma, ou si peu : Sur le chemin des glaces, de Werner Herzog. Le démiurge allemand y relate un voyage fait à pied, de Munich à Paris, à l’automne 1974, dans l’espoir d’une guérison miraculeuse de son amie Lotte Eisner, historienne du cinéma. Fou, romantique, profondément nietzschéen dans son observation de l’indifférente nature qu’il traverse, Herzog, bien sûr, ne suit pas la route, mais coupe à travers champs et forêts ! Ce court récit de voyage devrait compter comme une oeuvre majeure d’Herzog au même titre que Aguirre ou Fitzcarraldo.
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Je n’ai découvert que très récemment quelques riches archives sur internet qui me permettent de passer plus efficacement et moins seul mes après-midis d’écriture. Écouter toutes les bandes originales des entretiens Truffault / Hitchcock se fait très bien en tapant mollement un texte et on y apprend forcément quelque chose — un peu comme écouter la radio, mais sans le babillage incessant et la musique douteuse. Pareil pour ces «classes de maîtres» filmées dans divers festivals et qui donnent libre parole à des cinéastes et des artistes importants. Par exemple, cette très belle classe de maître des frères Dardenne donnée il y a quelques années au Forum des images de Paris. J’ai une grande admiration pour leur travail et ils sont sans doute une de mes plus grandes sources d’inspiration cinématographique et éthique — le livre Au dos de nos images de Luc Dardenne est aussi une référence pour moi. J’y reviens chaque année, un peu comme à mes albums de Tintin !
Finalement, quand mon cerveaux se bloque, que je n’arrive plus à écrire quoi que ce soit de valable (ce qui est assez fréquent, malheureusement !), je me retourne vers ces perles, ces films de cinéma, ces films hommages fait pour les yeux et les sens comme The World According to Koreeda Hirokazu de Kogonada.
Quelques autres livres :
L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire, de Pierre Perrault.
Nous autres icitte à l’île, de Pierre Perrault.
Kuleshov on Film – the Writing of Lev Kuleshov.
Sur l’affaire humaine, Luc Dardenne (c’est moins un livre de cinéma qu’un essai de philosophie sur la mort. Mais comme tout peut être cinéma…)
Souvenirs d’un cinéaste libre, de Jean-Claude Labrecque.
Le Temps scellé, d’Andrei Tarkovski
Écrits corsaires, de Pier Paolo Passolini
Dits et écrits d’un cinéaste chinois, Jia Zhang-ke (beau livre que je n’ai lu qu’au tiers et que j’ai oublié dans un aéroport… Espérons qu’un autre voyageur l’aura apprécié !)
Diego Star de Frédérick Pelletier a remporté le prix spécial du jury ainsi que le prix d’interprétation masculine (remis à Issaka Sawadogo) dans le cadre du dernier Festival du Nouveau Cinéma. Il prendra l’affiche le 6 décembre prochain.
24 octobre 2013