Planète cinéma
par Sophie Goyette
(crédit illustration: emmanuel laflamme)
Le festival de Sundance s’est récemment clôturé avec la première du film biographique sur le critique cinéma Roger Ebert, Life Itself.
Après la projection, sa femme a pris la parole.
Chaz, parlant de son défunt époux: “He said that when you went into the movies and if it was a good movie or something really important, that it really did help transform you as a human being. He said that when you went into a movie, in those two hours, if the movie was really working its job on you properly, that you left being a truer version of who you were. (…) For him, movies were not just about movies, they were really about the empathy machine of standing in someone else’s shoes, allowing you to be a person of another race, of another gender, living in a different country.”
Le cinéma est en effet ce langage planétaire. Son cœur pluriel bat en un seul pouls et se fragmente en toutes ces multiples visions. On entend souvent parler de problématiques locales pour l’industrie, mais ce sont parallèlement et globalement les mêmes défis que nous affronterons, tous : l’adaptation imminente qu’exige l’évolution technologique, la perte de sentiment de collectivité devant nos écrans individuels… Il faudra élever notre regard et ouvrir nos œillères pour questionner le cinéma et en répondre. Par des festivals visités, j’ai eu le privilège de rencontrer de jeunes cinéastes sensibles, doués. Nous étions dans les mêmes programmes de courts-métrages, et partagions les mêmes doutes, les mêmes élans, les mêmes espoirs futurs. Se pointait alors en nous l’intuition intime qu’il se formait momentanément une appartenance avec cette matrice commune, la planète cinéma. Ainsi, le temps d’un festival, constater qu’un cinéaste britannique évoque des inquiétudes créatives similaires, ou être fortement interpellé par une scénariste grecque qui cherche comment survivre artistiquement dans son pays en crise… Nous tenons correspondance depuis pour nous encourager, nous motiver, nous sentir un peu moins seul dans notre tête, dans notre bulle. Et c’est avec ce qu’ils ont dans le ventre qu’ils entament aujourd’hui le pas vers leur premier long. Je souhaitais en présenter cinq, comme cinq noms à retenir, à suivre, pour ne pas les perdre de vue dans l’océan tumultueux de la distribution. Et parce qu’un premier court, même imparfait, peut déjà révéler au monde une voix et en nous, un émoi.
–Philipp Mayrhofer (Italie / France)
Au Talent Lab du Festival International de Toronto, nous étions assis ensemble dans une salle, discrets pour ne pas dire muets, attentifs à ce qui allait se dérouler devant nous. Deepa Mehta s’assoit et nous observe tous deux, un moment. Elle brisa la glace. « Quels sont vos backgrounds? » Fraîchement arrivé d’une sélection au Festival de Cannes avec son premier court métrage de fiction, Philipp a étudié en philosophie même si l’appel des films résonnait depuis toujours. Ce qui d’emblée a fait écho avec mon propre parcours en microbiologie. On cherche et on pose beaucoup de questions en sciences, comme en philosophie… Il aura abordé le documentaire avant de foncer vers la fiction, qui après ce premier court l’amène maintenant dans l’arène du long avec River without shores, une co-production franco-allemande scénarisée et développée au sein du Torino Film Lab. Il y a en effet cette touche philosophique, existentialiste, dans son film, un univers décalé et ironique dans lequel on bascule doucement, dans les eaux mélancoliques d’un certain Roy Andersson, et où il réussit à emprisonner en 18mn un mal du siècle et quelque chose de l’air du temps…
KÖNIGSBERG
Königsberg Screener from Philipp Mayrhofer on Vimeo.
Philipp : « Il y a énormément de raisons pour lesquelles j’adore faire des films, mais une très importante est le fait que c’est une activité qui combine une vision artistique avec une structure narrative. On a un arsenal infini à notre disposition, la musique, l’énergie des protagonistes, le talent des acteurs, une direction artistique, la décoration, la lumière… travailler avec ces éléments, les combiner afin de créer un spectacle qui a une force pour les spectateurs me passionne. »
-Mariana Gaivão (Portugal)
Le discours de remerciement de Mariana, alors qu’elle récoltait son prix pour Meilleur court métrage international au Festival du Nouveau Cinéma, m’aura autant happée que son film SOLO. Nous étions réunis dans le même programme « Éléments », elle le feu, moi les cieux. C’est avec verve qu’elle nous communiquait son amour du 7e art mais surtout son inquiétude sur la situation cinématographique de son pays : les fonds institutionnels étaient gelés, on venait de couper les vivres aux cinéastes. La débrouillardise est de mise pour continuer, pour survivre. Ses films détiennent ce feu brûlant: sensations vives, appel aux mystères de la vie, désir de lutte. Au-delà de l’aura poétique qui s’en dégage, j’ai le sentiment de voir une petite fin du monde autant que le début d’un nouveau monde simultanément. Comme une avenue de tous les possibles après l’orage, avec en fond d’écran la nature plus grande que nous, que tout. Dernièrement, elle me partageait encore trimer dur, écrire, attendre, espérer. Elle vient tout juste de recevoir des sous pour son premier long-métrage documentaire, Gois, explorant un territoire montagneux portant 900 ans d’histoire et qu’elle aura connu lors de ses étés d’enfance. La traversée de l’hiver est ardue, mais le printemps arrive enfin…
SOLO
Extrait 1:
SOLO#1 from O SOM E A FÚRIA on Vimeo.
Extrait 2:
SOLO#2 from O SOM E A FÚRIA on Vimeo.
FIRST LIGHT (Carte blanche pour le Festival du Nouveau Cinéma) :
Mariana: « There are two things that might have shaped my background. First, there’s that saying, of how the film camera inscribes itself in the tradition of the optical instruments of knowledge – I grew up dreaming of Astronomy and ended up in the National Film School. I feel they arise from the same drive, to look further and closer, to register the great movements of things, their nature, their path. In my last project, I cut loose from most production weights, and began to strive for a bigger luxury, that of time, more time, all the time. Not to drift about, but to live the process, to allow life to breathe into it. To glimpse into something bigger than what I set out to do. This is what drives me. »
-Fyzal Boulifa (Royaume-Uni)
Rencontrer Fyzal, c’est sentir immédiatement que l’on est devant un artiste. Une conscience accrue du monde, un esprit vif, un instinct qui prime avant tout. Et surtout, une absence totale de langue de bois. Nous découvrions ensemble le Festival de Sundance, ses soirées souterraines et ses montagnes. Il venait de remporter le premier prix à la Quinzaine des Réalisateurs pour son court The Curse, une fable acide au cœur d’un désert marocain, où malgré la grandeur majestueuse des lieux, la protagoniste ne pourra se cacher nulle part. Autant par son ton que son choix de thèmes, il y a ce quelque chose dans son cinéma qui tient lieu de la confrontation, de la provocation, via une attitude franche et directe dans ses plans et dialogues. Un quelque chose qui le suivra aussi pour son premier long, Teenage Model, sélectionné à la Cinéfondation et présentement en développement. Un film sensoriel où il souhaite sortir de sa zone de confort, bondir de son dernier film pour aller découvrir une terre nouvelle, même si on sent un leitmotiv qui revient continuellement et frappe juste: les conflits entre notre liberté personnelle et les conventions sociales.
THE CURSE
– Suba Sivakumaran (Sri Lanka / États-Unis)
C’est la douce et forte intelligence qui brille au fond des yeux de Suba qui m’aura en premier lieu marquée. Une rencontre au Festival International de Reykjavík, où les paysages majestueux d’Islande faisaient compétition au grand écran. Son film était autant poétique que politique, autant délicat qu’affirmé… à son image en quelque sorte. Travaillant présentement à l’Organisation des Nations Unies, l’appel du cinéma l’a fait foncer vers son premier court de fiction, qui fut sélectionné directement en compétition au Festival de Berlin. Le tour du monde? Elle l’aura accompli dès le départ, grandissant dans cinq pays différents. Les vécus les plus divers dans l’emploi, de l’éducation jusqu’au travail humanitaire, aussi. De ce creuset se sont sûrement développées ses qualités féministes, humanistes, et son sens de l’engagement. Complètement dédiée à son pays d’origine, le Sri Lanka, où elle tourna son premier court, elle y retournera pour son premier long présentement en développement, House of My Fathers, une riche allégorie sur notre monde en mutation et nichée au cœur d’une forêt mystique inventée.
I TOO HAVE A NAME (bande-annonce)
Suba: “Cinema is the only thing that has allowed me to make sense of the world, and the times we live in; the only way in which right and wrong and truth becomes known, when in so much of the rest of the world, it is unknown.”
-Enrico Maria Artale (Italie) :
Notre première fois à tous deux au Festival de Locarno. Ce qui nous marque est ce véritable intérêt cinéphile de la population, où toute la ville devient pour ce rare et précieux moment des spectateurs curieux, autant présents dans les salles que respectueux par leur silence total dans une Piazza Grande sous les étoiles. Nous trouvions des similitudes à nos deux films, à nos personnages, et même à une scène particulière de mon court sur un terrain de soccer qu’il avait eu en tête pour le sien mais n’avait pu tourner, faute de moyens. Deux ans plus tard, les moyens y sont et il présenta son tout premier long métrage, IL TERZO TEMPO, au Festival de Venise 2013. Il abordait le tir à l’arc dans son court, maintenant le rugby dans son long, tout en exacerbant la possible portée violente de ces deux sports. Le mouvement, l’élan, les respirations profondes jusqu’à l’essoufflement et les gros plans radicaux à fleur de peau habitent ses œuvres qui grondent. Une énergie pure… avec le sport comme seul salut. La première mondiale de son premier long en son pays fut marquante mais c’est maintenant en toute conscience des rouages de la distribution internationale qu’il avance, attendant patiemment une réponse pour enfin le présenter en Amérique.
IL RESPIRO DELL’ARCO (bande-annonce)
Il respiro dell’arco – trailer from Enrico Maria Artale on Vimeo.
Enrico: « The main reason I do cinema… Keep dreaming about a life where experience and expression could be always feeding each other. I’m working on several projects at the same time. Basically I’m thinking about the chance of making my second feature film abroad; on one hand it’s true that in Italy is not so easy get funds. On the other one my stories have always been deeply influenced by british and american cinema. And I like to deal with universal themes and characters, so that a specific social reality is not what matter. »
Cinq? Je voulais dire six. Car le tour du monde ne passe-t-il pas aussi par le Québec?
-Olivier Godin (Québec) :
Entrer à pas feutrés dans l’univers d’Olivier, c’est toucher au réalisme magique, croire aux contes, et finalement croire tout court. Une délicatesse, une subtilité et une sensibilité qui nous offrent les clés de son univers… Comme ça peut souvent arriver, c’est par nos films que nous nous sommes d’abord découverts, pour ensuite échanger sur nos goûts pour l’aventure poétique. Je ne sais pas ce qui m’a le plus étonnée : apprendre qu’il avait déjà un singulier premier long-métrage derrière la cravate (Le pays des âmes), ou qu’il était simultanément sur la post-production de son dernier court et sur la pré-production de son deuxième long (Nouvelles, Nouvelles), un conte fantastique qui s’annonce selon l’auteur à la fois épique et drôle, et qui avec tranchant dépeint un funeste réel. Ça tombe bien car c’est ainsi que j’aurai également dépeint le chant d’Olivier et tous ses films, dont celui-ci par lequel je l’ai découvert et lauréat du Prix du Meilleur Court-métrage Focus au Festival du Nouveau Cinéma.
LA BOUTIQUE DE FORGE
https://vimeo.com/85441376
mot de passe : forge
PLANTAIN (Carte blanche pour le Festival du Nouveau Cinéma)
Olivier : « J’aime conter. J’aime l’omniscience des conteurs. Du moins, j’aime y croire. Peut-être aussi parce que je me sens un peu trop maladroit pour écrire des romans d’aventure capables de garder en haleine. Dans tous les cas, j’imagine que j’aspire à servir le divertissement avec une modeste intelligence (que j’espère celle de mon temps). Je m’ennuie beaucoup aussi. Et quand j’arrête d’apprécier l’ennui, je pense au cinéma.»
** à noter que certains films seront spécifiquement en ligne jusqu’au 10 février, exclusivement pour les lecteurs de 24images.
31 janvier 2014