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Cinéastes Invités

Test des valeurs (2)

par Ky Nam Le Duc

Si ça peut inspirer la CAQ, l’un des endroits où on a bien réussi à contrôler l’immigration, c’est dans notre cinéma (et parallèlement notre télévision). On lâche parfois la notion de racisme systémique sans tout à fait comprendre ce que c’est, mais ce n’est pas difficile à imaginer, je vous donne l’exemple suivant:

 

Vous voulez tourner votre film. Vous cherchez des acteurs de la diversité, vous ouvrez le catalogue de l’UDA. Oups. Vous croyez que c’est celui de la Finlande, mais non, c’est bien ça. Vous vous dites ah, c’est compliqué. Le peu de candidats existants présente des CV alarmants: Rôle muet/Propriétaire de restaurant chinois. Vous êtes inquiets, votre premier assistant a fait un premier horaire, c’est vraiment serré, votre budget n’est pas très élevé (il ne le sera jamais assez). Il ne vous sera pas possible de tourner plus de trois prises par plan.  C’est votre premier (deuxième, troisième) long-métrage, vous ne pouvez pas prendre de chance, il n’est pas permis de se planter très souvent dans votre milieu (même si vous avez gagné un Oscar, demandez à M. Arcand). Vous appelez l’agent de Martin Dubreuil. Rince and repeat.

 

Les institutions n’ont presque aucune mesure incitative en ce sens. Par exemple, Téléfilm note les projets sur le potentiel de rentabilité. Votre casting d’inconnus provenant des ethnies ne vous procurera aucun point supplémentaire, loin de là. Au contraire, vu leur peu d’expérience, c’est comme un handicap supplémentaire que vous vous imposez. Cela dit, personne chez Téléfilm n’est raciste. Ils ne font qu’appliquer leur politique, des règles qui existent déjà depuis un certain temps et qui ont contribué à l’âge d’or de notre cinéma. Si l’ordre ne vient pas d’en haut (comme pour le manque de réalisatrices dans le milieu), le statu quo continuera. Et qui va s’en plaindre dans le milieu? Certainement pas les minorités, car il n’y en a presque pas! Vous n’avez qu’à ouvrir le catalogue de l’UDA. Rince and repeat.

 

Dans un système où le privé aurait davantage d’emprise, un producteur ou deux pourrait courir le risque d’aller à contre-courant. J’ai regardé The Big Sick récemment, je me suis davantage reconnu là-dedans que dans les cinq derniers films québécois que j’ai vus. Je comprends que mes cousins en aient rien à foutre de ce qu’on fait. Et c’est certainement pas eux qui vont contribuer à mon indice de rentabilité. C’est triste, mais c’est comme ça. Dans un système comme le nôtre, où 99% de nos budgets sont le fruit des impôts, ce sont les institutions qui choisissent quels films se feront. Si on pense qu’il y a un problème de représentativité, il faut en questionner la source.

 

Donc voilà, pas besoin de test des valeurs. Le problème avec M. Legault, c’est qu’il doit être plus subtil. La majorité des Québécois veulent mieux contrôler l’immigration, mais nous rechignons à utiliser des mesures ouvertement négatives. On n’aime pas ça le mot “expulser”, ça fait un peu troisième Reich. La meilleure façon, c’est plutôt, comme nous venons de voir, de créer un système qui renforce ceux qui sont déjà là, de récompenser ceux qui ont l’avantage déjà acquis. Il faut puiser dans notre savoir-faire institutionnel, il y a quand même de la sagesse là-dedans.

 

Voici donc deux suggestions de politique migratoire pour la CAQ:

  • Donnez une subvention aux immigrants qui parlent déjà français, quelque chose pour les aider à s’établir durant les premières années.
  • Offrez ensuite des crédits d’impôt en fonction d’un questionnaire annuel, facultatif, sur vos valeurs. (De façon progressive, sous la forme d’une grille de pointage)

Si on fait bien ça, personne ne sera “mis à la porte”. Même si le résultat est le même, c’est une question de perception. Si certains choisissent de quitter la province, amers de cette inégalité des chances, ça sera leur décision à eux. It’s a free world! En procédant ainsi, de façon structurelle et avec un peu de patience, on pourra ainsi écumer et ne garder que la crème, comme on l’a prouvé, nous, dans notre milieu.


22 septembre 2018