Têtes -188-195
par Pierre Hébert
Je vois ce projet «Têtes » comme une sorte de variation sur le thème du «mail art » dans la mesure où, comme dans le mail art classique, il s’agit d’un envoi artistique expédié à des destinataires en tirant avantage d’un système de communication établi. Dans ce cas, Facebook plutôt que la poste traditionnelle. Il y a cependant deux différences majeures. Premièrement, l’œuvre expédiée est virtuelle. Il s’agit d’une copie numérique d’un dessin réel dont je garde l’original. Deuxièmement, il y a des destinataires multiples dont le nombre exact est indéterminé et dont l’identité est incertaine. À cet égard, ce projet a aussi à voir avec l’art public. Des œuvres sont placées quelque part et quiconque passe par là peut les voir. Même si je suis en relation directe avec plus ou moins mille cent «amis» sur Facebook, rien ne m’assure que les dessins se retrouveront sur le fil de nouvelles de chacun d’entre eux. En outre, lorsque certains décident de partager une tête avec leurs propres amis, cette dernière s’échappe de ma constellation Facebook personnelle pour aller se promener dans des zones qui me sont étrangères. En conséquence, si la circulation de mes envois peut être limitée par la gestion automatisée des fils de nouvelles, elle peut aussi être amplifiée par les décisions de partage. De toutes les façons, le processus échappe à mon contrôle.
Facebook prétend être une sorte de place publique où les gens entrent en contact. Mais, étant donné ces procédures opaques dans la constitution individualisée des fils de nouvelles, qui fait que tout le monde ne voit pas la même chose, le caractère public est pour le moins frauduleux. Néanmoins, il s’agit bien d’un lieu où des gens se croisent virtuellement, comme des passants sur les trottoirs d’une ville, un peu au hasard des déambulations. Ainsi, il m’a paru intéressant de lâcher chaque jour, dans cet espace ambigu, des dessins de têtes qui se mêlent ainsi au flux aléatoire des passants. Ainsi, un nombre variable de personnes pourront les croiser et se sentir interpellées par ces regards insolites. J’espère ainsi que ces têtes s’imposent comme un autre type de présence et acquièrent une sorte de familiarité en tant que «foule parallèle». Il importe de préciser qu’il ne s’agit pas de portraits, mais bien de références génériques à la silhouette humaine et au schéma du visage, nées du hasard des taches et des lignes qui émergent du parcours de ma main sans nulle recherche de représentation ou de ressemblance. Je vise à ce que la récurrence quotidienne de ces têtes crée une présence muette et obstinée dans l’univers bigarré, le plus souvent futile, de ce qu’on trouve sur Facebook.
19 janvier 2015