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Cinéastes Invités

Tirer sur tout ce qui bouge…

par Rafaël Ouellet

Je vais le dire d’entrée, je connais la plupart des gens à la tête des entreprises de distribution de films au Québec, quelques exploitants de salles, et plusieurs personnes chez les institutions et investisseurs. Et j’ai besoin de tout ce beau monde pour faire mes vues. Donc rien de personnel ici. Il ne s’agit pas d’accuser, mais bien de questionner. Seulement, depuis longtemps, les cinéastes semblent être les seuls pointés du doigts lorsque vient le temps de blâmer quelqu’un pour les ratés du cinéma québécois. Sommes-nous réellement les seuls responsables?

Autres choses à mettre au clair avant de commencer:

– Je sais, le cinéma est une forme d’art et on ne peut n’en parler que d’un point de vue strictement budgétaire, économique, commercial. Mais ici je parle de la vie d’un film en salle.

– Je sais que beaucoup de distributeurs le font par amour, par passion, que la distribution, surtout en ces temps-ci, n’est pas une machine pour faire de l’argent. Même ceux qui ont les reins plus solides, ceux qui ont accès à des catalogues de films américains, de lauréats à Cannes ou Berlin, même pour eux, les temps sont difficiles. Et l’avenir ne s’annonce pas très rose.

– Je ne détiens pas la vérité. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Parfois j’écrirai un peu à travers mon chapeau. Je ne connais pas tous les tenants et aboutissants de la distribution de films au Québec. Ce texte est un mélange de connaissances, de suppositions, de recherche, et d’expériences personnelles. C’est quand même juste mon blogue éphémère! Et j’aimerais surtout qu’il ouvre des pistes de réflexion.

Lundi 9 mars 2015

Cette image serait si belle si ces 3 films avaient pris l’affiche à quelques semaines (voire mois!) d’intervalle. Mais ce que je vois ici: un gros problème. Un vrai problème. Le 27 février sortaient au Québec Autrui et Les loups, et une semaine plus tard, Chorus. Peu de tweets et de statuts Facebook à ce sujet, pas grand chose dans les médias non plus. Un genre d’omerta? Ou d’écoeurantite d’un problème qui revient chaque année comme la période des impôts?

3 films. 3 films d’auteurs. Ils auront beau être différents, ils s’adressent à un public similaire. Ils ont des moyens de promotion semblables. Et le nombre de cinémas qui s’intéressent à ce genre de films est plutôt limité, et ils ont souvent un petit nombre d’écrans. Comment un petit marché comme le nôtre pourrait-il soutenir ces 3 oeuvres? C’est un non-sens. Est-ce que les distributeurs se font une guerre ouverte? Je ne crois pas, j’espère que non. Mais comment peut-on en arriver là? Tuer la vie de ces films en salle ainsi?

Ce n’est pas un problème unique à ces trois sorties qui coïncidaient aussi avec l’arrivée en bloc de House of Cards sur Netflix, mais ça, c’est une autre histoire. Un autre problème.

Gardons en exemple ces 3 films. Bien que 2 de ces films arrivent avec une très bonne rumeur festivalière, et que l’autre soit réalisé par une chouchou du public depuis Unité 9. Bien que ces films mettent en vedette des visages connus et aimés, ils se sont tous écrasés au box-office – je n’ai pas envie de sortir les chiffres, mais ils sont disponibles. Est-ce la faute des cinéastes? Des scénarios? Des films?

Sauf erreur, ces 3 films ont tous été financés par la SODEC et Téléfilm. Vous imaginez vous présenter aux Dragons et leur proposer un tel plan d’affaire? Vous imaginez une banque vous avancer de l’argent pour un projet qui débuterait en même temps qu’un autre similaire? Vous imaginez Toyota proposer 3 nouvelles voitures économiques et semblables la même année? Comment est-ce possible?

Est-ce que ces dates de sorties sont gardées secrètes le plus longtemps possible? Est-ce que les distributeurs se font compétition avec des films financés par des fonds publics? N’ont-ils pas les adresses courriels de leurs collègues? Parce que lorsqu’ils distribuent des films québécois financés par l’Etat, c’est bien ce qu’ils sont, des collègues. Les exploitants de salles soulèvent-ils le problème de temps à autre? Les producteurs? Les investisseurs? Et les cinéastes?

Pourquoi à l’écriture les investisseurs ont-ils des commentaires précis sur des choix d’intrigues, de personnages, de mots -! -, mais lorsque vient le temps de commercialiser ces films, ils laissent tout passer? Est-ce que ça existe des tapes sur les doigts d’un distributeur lorsqu’un film est mal sorti? Parce que nous, cinéastes, un film qui rate ses cibles, qui ne réussi pas, ça nous suit. Il y a des conséquences.

Depuis le début de l’année, 7 films québécois à budgets modestes ont pris l’affiche. 7 films. En fait, depuis le 30 janvier, donc en 6 semaines! Ajoutez à cela le documentaire L’empreinte cette semaine, mon film et celui de Léa Pool, le 20 mars prochain. Et d’ici le 17 avril, N.O.I.R. de Yves-Christian Fournier, Corbo de Mathieu Denis et le film de François Girard. Et ensuite? Plus rien. Pourquoi?

On retrouve essentiellement le même problème à l’automne, aux alentours du Festival du Nouveau Cinéma. La période après celle des blockbusters américains mais avant les sorties stratégiques de films aux espoirs oscarisables.

Cela n’est pas sans impact. Avec de telles sorties, ces films s’écrasent presque systématiquement au box-office. C’est mauvais pour le public qui s’y perd, ne peut voir ces oeuvres à moins de faire des blitz. Mauvais pour la feuille de route du cinéaste, du producteur ou de la productrice, mauvais pour l’image du cinéma québécois, mauvais pour la maudite moyenne de fin d’année publiée sans contexte par des médias jaunissants. BOX OFFICE divisé par NOMBRE DE FILMS = ÉCHEC. AUSTÉRITÉ À VENIR! WATCHEZ-VOUS LES ARTISSES!!

Et mauvais pour les salles! Les cinémas qui encouragent ce genre de cinéma n’ont pas le nombres de salles pour subvenir à cette offre. Et s’ils décident de tout programmer, la vie de chaque film sera extrêmement courte. Faudra faire de la place. Dans un cas ou dans l’autre, cela nuit à tous. Des cinémas comme Le Clap, Excentris, LeTapis Rouge, La Maison du Cinéma, le Cinéma Beaubien et les quelques autres se retrouvent avec un surplus de films québécois à projeter dans certaines périodes, et avec à peu près rien le printemps venu. Un grand vide jusqu’à l’automne, surtout pour ceux qui n’ont pas le mandat ou les moyens (ou le droit!) de diffuser du cinéma américain.

 

Et ce n’est pas le seul problème. Comment est-il possible dans un système comme le nôtre qu’un film sorte sans bande-annonce? Sans site web? Même sans affiche? Oui, cela arrive. Comment se fait-il que les films d’auteur soient en général absents des écrans en banlieue et en région?

Comment se fait-il que nos films sont développés (recherche et écriture) et produit à même l’argent public, mais lorsqu’arrive le moment d’être distribués, commercialisés, vus, ils sont soudainement soumis aux lois (sauvages) du marché?

Le succès commercial de chaque film aura un effet direct sur le succès des salles et la survie de certains cinémas, un effet sur la réussite de l’industrie et de tout ce qui en découle (ce fameux 8 dollars pour chaque dollar investit). Comment se fait-il que le succès des uns peut aider le succès de l’autre mais que ceux qui ont le sort de nos films entre les mains une fois le film terminé ne tiennent pas (ne semblent pas) compte de cela? N’ont-ils rien à perdre?

Les petits distributeurs n’ont pas les reins très solides, pourquoi agissent-ils ainsi? Les plus gros, les mêmes qui distribuent les canons hollywoodiens ou qui nous pistonnent des acquisitions cannoises faites par des compagnies de distribution étrangères, ne devraient-ils pas honorer ce lien avec les cinéastes et les investisseurs (nous tous)? N’en profitent-ils pas eux aussi parfois? Le cinéma québécois est-il un mal nécessaire pour certains distributeurs? Une obligation?

On ne compte pas sur le cinéma d’auteur pour sauver le box office du cinéma québécois. Mais certains de ces films pourraient contribuer de belle façon s’ils étaient mieux encadrés le temps de la sortie et de la promo venu. Je suis le premier à reconnaitre tous les mérites du film Félix et Meira, mais lorsqu’il a pris l’affiche le 30 janvier dernier, le champ était libre, et cela a sans doute joué en sa faveur. Les chiffres prouvent qu’il s’agit là d’un beau succès qui s’ajoute à ses exploits critiques et son parcours impressionnant en festivals. Lorsque nous avons sorti Camion au milieu du mois d’août 2012, tout le monde nous disait qu’on ne sort pas un film d’auteur québécois à cette période. Et pourtant, sans faire un million, nous avons surpassé les attentes et les projections. Le champ était libre, là aussi.

Devrait-on pousser la logique de notre système de financement public un peu plus loin et créer des règles qui s’appliqueraient à la distribution? Un calendrier commun? Un pacte de non-agression?

Serait-il envisageable que la SODEC et Téléfilm puissent exiger des distributeurs (et des producteurs) des preuves qu’ils ont fait tout en leur possible pour que le film rejoigne un maximum de spectateurs, au 4 coins de la province? Si je dois justifier mes reçus de taxi pour mes impôts, j’imagine que ce ne serait pas déraisonnable. Entre 12.25$ et 1.5 million, il y a quand même une bonne différence je crois!

Est-ce que, je ne me ferai pas aimer ici, mais bon… est-ce qu’on devrait sacrifier un des films produits par année (36 en 2014) et utiliser ces sous pour donner la chance à un ou deux distributeurs aux épaules fragiles, chaque année, de faire leur place tranquillement, ou de reprendre du poil de la bête? Ou encore, avec cet argent, aider les distributeurs à faire circuler les films en région? En payant pour le VPS* par exemple.

Les gens désertent les salles un peu partout dans le monde. Les gens sont scotchés devant leur 55 pouces, devant Netflix, ou leur AppleTV. On pourrait pas s’aider un peu?  Et éventuellement, réfléchir aux nouvelles technologies aussi? Aux sorties simultanées sur différentes plate-formes? À briser cette façon de sortir les films qui est la même depuis au moins 15 ans? À rejoindre les jeunes, aussi.

Beaucoup de questions, peu de réponses. Mais le statu quo ne fonctionne pas, ou ne fonctionne plus. J’invite les principaux concernés à me répondre, s’ils en ont envie, ici ou directement, ou ailleurs. Il ne s’agit pas de se faire la guerre, mais, il faut s’aider.


Gurov et Anna, dès le 20 mars, clin d’oeil!

* La plupart des salles qui n’appartiennent pas à de gros consortiums, surtout en région, ont bénéficié de l’aide financière de différents intégrateurs (souvent des compagnies américaines) pour rénover leurs salles et passer au numérique. Ces salles sont aujourd’hui équipées en DCP, comme la plupart des salles sur la planète. Cette aide financière ne vient pas sans condition. L’une d’entre-elles est d’exiger un VPS, le virtual print fee. Les films arrivent dans ces salles encodés et doivent être activés à l’aide d’un mot de passe. Ce mot de passe coûte entre 500 et 1000$ selon le distributeur, l’intégrateur ou la salle. Entre 500 et 1000$ pour que le film puisse être projeté pour son séjour dans la salle. C’est pourquoi à l’extérieur des grands centres, vous risquez de n’avoir accès qu’à une seule projection, en blu-ray, dans le ciné-club de votre ville. Pour se rembourser 1000$, le distributeur a besoin d’environ 200 spectateurs. Et le genre de films dont il est question ici ne peut être à l’affiche qu’une petite semaine dans ces cinémas qui n’ont qu’une seule salle. Voilà, entre autres, pourquoi ces films ne sortent pas souvent des sentiers battus. Et ensuite il y a le transport, la publicité, etc…


13 mars 2015