Tour de France à Utrecht, prise 2
par Pierre Hébert
J’ai promis la semaine dernière de montrer la suite de ce travail aujourd’hui. Je me rend compte que c’est plus redoutable de rendre public un travail à mi-chemin que de la simple matière de départ comme j’en ai partagée la semaine dernière. Je tremble un peu de mettre ça en ligne, mais promesse faite, promesse tenue. C’est la rançon à payer pour faire comprendre mon processus de travail. Il ne s’agit pas d’un plan prévu d’avance, car chaque étape permet de décider de la suivante. Ce que vous verrez la semaine prochaine sera sans doute beaucoup plus près du but.
Le lieu dont il est question ici, comme tous les endroits où j’ai tourné, se situe le long du parcours que le Tour de France suivra à travers Utrecht en juillet prochain. C’était le 11 novembre 2014 et il s’agit de la place Janskerkhof, juste en face de l’Université d’Utrecht. Ce qui m’a tout de suite attiré, c’est ce ballet de personnages autour des deux bancs. Les passants arrivaient et partaient avec un bon timing comme si ça avait été mis en scène. Quand on tourne assez longtemps quelque part, de tels moments de grâce finissent toujours par se produire. C’est le principe de tournage de mon projet Lieux et monuments. Je passe souvent de longs moments à tourner dans des lieux improbables, à attendre le petit miracle d’une contraction naturelle du temps, d’une danse harmonieuse des gens et des lieux, qui peut ensuite me servir de point de départ pour des altérations temporelles et spatiales beaucoup plus radicales.
Ce qui évidemment m’a tout de suite intéressé dans ce plan, c’est ce vieux barbu, probablement un sans-abri, qui n’a, je présume, rien à faire du Tour de France. Et aussi, le type à l’appareil photo. J’aime beaucoup quand, à l’intérieur même de mes plans, quelqu’un photographie ce que je tourne. De tels redoublements de l’acte de capter sont presque toujours féconds. Dans ce cas, je ne sais pas ce que cet homme photographiait (je ne lui ai pas demandé, mais il savait que je le tournais, je ne pouvais être plus en évidence au milieu du square avec mon trépied, et il m’a fait un clin d’œil lorsqu’il a brièvement disparu du champ), mais moi, dans ma petite fiction temporelle, je lui fait photographier quelque chose qui n’est pas encore là, le Tour de France qui allait passer sur cette rue plus de six mois plus tard. J’aime aussi que ces deux hommes, celui qui, selon moi, s’en fout et celui qui, toujours selon moi, photographie l’avenir, soit en relation directe l’un avec l’autre, comme les deux faces de ma construction allégorique.
Je fais ce travail d’altération temporelle en combinant les manipulations numériques du tournage, qui ont pour but de condenser et de densifier le matériaux documentaire, et les interventions d’animation, qui visent quant à elles à faire éclater la matière réelle vers d’autres zones de signifiance, sans cependant détruire leur poids de réalité. L’animation ne sert pas ici à créer des fantaisies, au contraire.
Suite la semaine prochaine.
15 janvier 2015