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Cinéastes Invités

Un mot (1000) sur la critique

par Rafaël Ouellet

En général mes films ont été bien accueillis par la critique. Ici et à l’étranger. J’ai eu droit à du bon, du tiède, quelques fois du très bon aussi. Plus rarement mais brutalement, j’ai aussi eu droit à du laid.

On a dit de moi que j’étais le cinéaste le moins intéressant de ma génération (1). Dans l’hebdo Now de Toronto on a mis Le cèdre penché sur la liste des 4 films à éviter au TIFF 2007 sur… 600! Un an plus tard, dans le même hebdo, on a expliqué ce que voulait dire le titre de leur critique de mon film Derrière moi. « MERDE! Probably not the most astute or insightful critique of a film, but it gets to the point quickly and without pretension. »

La critique ne m’affecte à peu près pas. Je coupe la crème, je coupe la merde, et je goûte le milieu. Celle-là, je l’ingère, la digère, l’accepte. Je lis à peu près tout, question de connaitre la suite, le sort qui sera réservé au film, peut-être. Un peu comme on regarde le pointage des matchs de baseball. Ou le classement. Je lis ça avec une relative distance. J’aime beaucoup la phrase empruntée à Bukowski mais adaptée par André Brassard « Quand tu crois que t’es bon quand on te dit que t’es bon, tu vas être obligé de croire que t’es mauvais quand on va te dire que t’es mauvais. »(2) Moi, je connais ma valeur et mes forces, et celles de mes films. Je sais ce qui est réussi ou raté. Y’a pas un article des Cahiers du Cinéma qui va venir changer ça. Si une critique m’attaque, je ne serai blessé qu’à ma fierté que parce que je considérerai injuste que des gens risquent de ne retenir que ça, sans avoir vu mon film. Ça, ou si on écorche le travail d’un collaborateur, là je deviens méchant. Mais ça s’arrête là.

Il y a une seule chose à laquelle je suis allergique, qu’elle me concerne ou non, et c’est l’analyse d’une oeuvre, sa critique, lorsqu’elle donne dans la préconception, dans le préjugé hargneux. Lorsqu’elle tente d’évaluer un résultat selon une hypothèse qui n’est pas la bonne, qui n’est pas celle de l’auteur. Lorsqu’elle prétend connaître les motivations derrière l’accomplissement d’un travail artistique. Lorsqu’elle prête de fausses intentions à un créateur.

Dans le numéro du printemps 2013 de la revue Liberté, le cinéaste Simon Galiero y est allé d’une charge à fond de train sur un pan du cinéma québécois contemporain. Je dis un pan, mais on pourrait dire sur l’ensemble. Tout le monde y passe: 25 cinéastes, les critiques, les sélectionneurs de festivals du monde entier, les investisseurs, le public, les médias. Vous trouverez ce texte ici-même sur ce site.

Ce texte, publié il y a deux ans, ne semble pas avoir généré grand bruit, mais les quelques personnes qui ont soulevé ce texte en ma présence m’ont systématiquement demandé pourquoi personne parmi les cinéastes cités (attaqués?) n’avait offert de réplique. Tout simplement, je crois, parce que vaut mieux laisser le bourreau se pendre lui-même avec une si longue corde que de s’enfarger dedans. Comme un canon qui se détache de ses amarres, ce texte tire des boulets qui n’atteignent que rarement la cible. Il pourrait avoir le mérite de soulever des questions et apporter des réflexions si seulement on pouvait croire en sa bonne foi.

Le texte est infiniment condescendant et érige des suppositions en faits: les cinéastes font du clientélisme, du mimétisme, de la supercherie, sont au service des attentes des institutions et des festivals, ils font du spectacle usiné, du cinéma donjon-dragon (coups de dés poches et règles puériles faussement alambiquées.) Les cinéastes trouveraient moins important de rencontrer son public que de se satisfaire des lieux symboliques où l’on présentera ses films pour y trouver la simulation d’un « succès » empirique. (3)

Je ne saurais répondre pour l’ensemble des cinéastes visés par ce texte, mais il m’apparait peu probable, connaissant une bonne partie de cette liste de gens, et surtout connaissant la flamme créatrice qui doit nous animer sur plusieurs années pour accoucher d’un film, qu’on fasse du cinéma comme on fait de la peinture à numéro. Rares sont les cinéastes calculateurs. Il m’apparait plutôt paresseux d’établir une thèse sur ce que ces cinéastes pourraient avoir en commun en les accusant dans un sens-unique/cul-de-sac de « faire comme » et de « faire pour », plutôt que de les placer dans un contexte social, politique, économique, ou culturel. Plutôt que de trouver des racines communes de ce « renouveau » qui se retrouvent en général cachées sous quelques mètres de terre ou de béton, des racines qui demandent pics et pelles, et non pas procès d’intentions et fiel.

« N’oublions pas, malgré quelques différences superflues, le « cinéma Ikea » et leurs réalisateurs clientélistes faussement naïfs (plus ou moins Côté, Lafleur, Ouellet ; quelque part entre Kaurismaki revu par Malajube ou un épisode de « Passe-Partout » filmé par les Dardenne) qui ménagent au plus offrant leurs effets de distanciation et revendiquent leur nébulosité une équerre à la main. » (4)

Bien que très comique, que répondre à cette flèche? Comment arrive-t-on à mettre les films de Lafleur et ceux de Côté dans un même panier? Quels sont les liens qui unissent les miens aux leurs? Comment décider de ce qui est naïf et faussement naïf? Connait-il l’ensemble de l’oeuvre de Lafleur (sa musique, sa bande dessinée, sa vie privée, tiens!) pour affirmer avec l’assurance du guerrier que Lafleur joue au naïf? En quoi nos films évoquent-ils les Dardenne si ce n’est que pour quelques plans de dos tournés dans la décennie précédente? Où ai-je donc revendiqué cette nébulosité? D’où vient cette référence à Malajube? Et à Passe-Partout?

Mais je sais d’où elle vient, voyons!

Citant Heavy de James Mangold, dont la trame sonore est signée Thurston Moore de Sonic Youth, Ouellet poursuit : « Viviane et Robin voulaient mettre de la musique partout. Il a fallu que je me questionne à savoir quand est-ce qu’on en a assez, quand est-ce qu’on en a pas trop. Il fallait donc trouver l’équilibre. La musique n’est jamais là pour accompagner les dialogues; ce sont des transitions, du temps qui passe. Ça ne sonne pas comme Heavy, mais il y a l’idée des intermèdes. J’appelais ça mes moments Passe-Partout. Quand j’étais jeune, c’est lors des intermèdes musicaux de Passe-Partout que je vivais des émotions. »(5)

Je fais du cinéma parce que je suis amoureux des acteurs et de leur travail. Parce que j’aime chaque étape. Je fais du cinéma parce que j’ai un certain talent pour les dialogues, un sens de l’image. Je fais du cinéma pour entrer en communication avec moi-même, avec une équipe, et avec le public qui veut bien suivre ce que j’ai à offrir. Pour des raisons plus personnelles aussi. Mais pas pour les prix, ni la gloire, ou les voyages, ou les couvertures des magazines. Ni pour écrire ma légende, ou vivre après mon mort à travers pellicule et disques durs.

J’apporte modestement ma contribution à cet art avec mes bons coups et fausses notes. J’apporte humblement une expérience à des cinéphiles qui la vivront de différentes façons. Avec le souhait que ce cinéma soit le bienvenue pour la majorité des gens qui le croiseront. Et avec le souhait de toucher la grâce, transcender le médium, un jour, avec un film, ou une scène. Ou un moment.

 

(1) Le renouveau du cinéma québécois, Sylvain Lavallée, Nouvelles vues, 2011
(2) «Je suis le méchant», entretiens avec André Brassard, Wajdi Mouawad, Leméac, 2004
(3,4) Simon Galiero, Du cinéma d’auteur et du «renouveau» dans le cinéma québécois, revue Liberté n.299
(5) Karlovy Vary 2012 : De Bergman… à Passe-Partout, Manon Dumais, Voir, juillet 2012


20 mars 2015