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Cinémathèque Québécoise

Claudie Lévesque, leitmotivs intimes

par Apolline Caron-Ottavi

Retour sur les films, l’exposition et la performance de Claudie Lévesque présentés à la Cinémathèque québécoise en début d’année, et sur le dialogue entre ces différentes créations.

La présentation simultanée de deux programmes des films de Claudie Lévesque et de son installation Ritournelles, dans le cadre de laquelle s’est également tenue la performance En corps, créée avec la metteure en scène Michoue Sylvain, a été l’occasion de revisiter son univers en appréciant un nouvel éclairage sur son parcours de cinéaste. Des premiers films en super 8 à une installation qui joue avec les possibilités de l’informatique, on retrouve avec constance certains motifs que l’artiste a su faire évoluer et approfondir au fur et à mesure de son travail.

L’œuvre de Claudie Lévesque relève presque toujours de l’intime, à travers le récit d’expériences de vie, les fragments de souvenirs ou la captation de gestuelles particulières. Ritournelles, en nous entraînant dans le monde des personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs, n’y déroge pas. Les enregistrements des récits personnels de Geneviève, Janie et Rachel, disséminés à travers la salle d’exposition, entrent en résonance avec les images qui leurs font face, projetées sur un triptyque d’écrans (gestes répétitifs, ciels nuageux, jeux d’enfants et autres micro-scènes se succèdent, se démultiplient et se croisent).

À travers ce dispositif, Claudie Lévesque propose une exploration renouvelée de thèmes et de formes qui lui sont chers : l’intériorité, l’émergence du dialogue, la répétition des gestes et le rythme qui les sous-tend. La performance des trois artistes circassiens (Alicia Beaudoin, Zebulon Simoneau et Daniel Stefek), qui ont livré une captivante chorégraphie autour des tocs physiques, synthétisait ces éléments tout en faisant honneur à une autre facette essentielle de l’œuvre de l’artiste : sa dimension ludique, joueuse et musicale.

Dans son œuvre filmique, cet aspect était souvent introduit par le thème de l’enfance – à l’instar des tours et trucages dignes du cinéma des premiers temps réalisés avec la complicité de sa fille dans Magie blanche. L’enfance n’est pas seulement un sujet de prédilection pour la cinéaste, mais aussi l’occasion d’une approche sensorielle du monde (Première prise), une porte ouverte sur l’intériorité de l’adulte à venir (Ma famille en 17 bobines, avec son subtil récit elliptique, en est peut-être l’expression la plus aboutie), ainsi que l’exploration d’un univers de la répétition : le temps des comptines, des obsessions et des éternels recommencements.

Performance - en corps - Cinémathèque québécoise

C’est ce rapport aux rituels, aux manies et aux habitudes que l’on retrouve de loin en loin dans la démarche de Claudie Lévesque, notamment lorsqu’elle observe ses occurrences et son évolution dans le monde adulte. Il peut s’agir de création (les gestes patients de la cinéaste d’animation Michèle Cournoyer, planche après planche); d’émancipation (du cérémonial de L’Act’en vert aux trois identités féminines des Souliers de Dorothée); d’autofiction (qu’elle aborde avec beaucoup d’humour dans Sans titre); ou de l’expression au contraire des blessures, des incertitudes et de l’anxiété, poussée à son paroxysme avec Ritournelles.

Comme le souligne le titre de l’installation, le rythme est peut-être l’élément formel qui fait office de fil conducteur dans l’œuvre de Claudie Lévesque : celui des paroles, de la poésie, des échanges épistolaires ou des dialogues qu’elle fait naître au sein de ses films; celui des corps, de la danse et de la performance (on pense à ses hommages à Pina Bausch ou Maya Deren); celui des images, du cinéma et de ses bobines de pellicule. Même un petit film de commande comme Quaranta, tourné à l’occasion du 40e anniversaire du Festival du Nouveau Cinéma, est l’occasion d’un ballet qui voit se succéder à l’image quarante objets circulaires traçant leur propre partition colorée.

L’installation Ritournelles s’empare quant-à-elle des algorithmes informatiques pour évoluer sur un rythme aléatoire, offrant au fond une réponse contemporaine au tourné-monté que l’artiste a souvent exploré avec le super 8. Le dialogue aux possibilités infinis lancé par les algorithmes est redoublé par le système d’échos immersif que l’on doit aux concepteurs sonores Ariel Harrod et Simon Gervais – qui avait déjà signé les leitmotivs de la trame sonore de Ma famille en 17 bobines.

Crédits images : image principale (Ritournelles @Maryse Boyce), montage intérieur (En corps @Maryse Boyce)


13 mars 2023