Comète helvète – Nicolas Frichot (1968-2016)
par Étienne Desrosiers
Nous avons demandé à Étienne Desrosiers, commissaire invité, de nous évoquer Nicolas Frichot auquel nous consacrons une rétrospective des films et une exposition de tirages de son œuvre photographique.
« Les images que vous avez captées demeurerons bien après notre passage sur terre. C’est assez vertigineux n’est-ce pas ? »
Claude-Henri Favrod, homme de lettres et producteur de « Le Chagrin et la pitié » dans une lettre à Nicolas Frichot en 1993
Passeur d’une francophonie helvétique exaltée, Nicolas Frichot fut un éclair dans la cinématographie québécoise. Ses films traversent les années quatre-vingt-dix à l’image de sa personnalité sans compromis, avec fougue et rapidement. Après une enfance lausannoise intraitable, il découvre la photographie à quatorze ans et expose à partir de 1989. Palefrenier, soldat de forteresse, peintre, il sillonne l’Europe en reporter pour la presse écrite dont Le Matin et La Gazette de Lausanne. Réfugiés de guerre slovènes, festivals de rock italien, revues de luxe genevoise, ses clichés enflamment le milieu artistique helvète, il expose en galerie, intègre les collections publiques et privés, remporte un prix au European Kodak Award et dirige ses premiers films.
En une décennie il tournera cinquante-deux courts métrages, souvent signés de pseudonymes : Nic Noc, Freeshow, Nicole Lafriche, Chaudfroid. Immigré au Québec, il intègre vite le milieu du cinéma indépendant autour des coopératives d’artistes la Casa Obscura et Main Film. Le public et la critique saluent ses films empreints d’une grande fraicheur et souvent tournés en noir et blanc. Acteur pour Chloé Leriche, Claude Fortin, François Aubry, photographe au Devoir, Mirror, Ici et Voir, il sillonne les Amériques, expose ses photos et anime à la radio. Ses films voyagent beaucoup, Vancouver, TIFF, Split… Puis soudain tout s’arrête. Un chagrin d’amour le pousse hors cadre au début du millénaire. Il s’éteint à quarante-neuf ans d’une vie trop ardente.
Nicolas Frichot vint au cinéma par le biais de la photographie. Son approche narrative de la photo le conduira naturellement au septième art. Et quand il arrive au Québec en 1993, il s’inscrit dans une solide tradition de l’image argentique aux côtés de Guy Borremans, Jean-Claude Labrecque et Michel Lamothe. Qu’il raconte les espoirs du dragueur (Les plus beaux matins), la muse errante (Wer kann es sein ?), les bacchanales d’une vendange (Vendemia), ou les mésaventures d’un acteur en devenir (Le Succédané), Frichot chante le désir de la rencontre, toujours exaltée, fusse-t-elle amoureuse, fraternelle ou esthétique. Navigant entre l’essai documentaire, la fiction et le tableau vivant, voire frénétique, tournée dans un dépouillement frondeur sur pellicule 16mm et super 8mm, sa filmographie exprime une volonté d’ivresse et de dépassement par des mises en scènes à l’humour ubique et cocasse.
Le programme présente plusieurs films inédits numérisés pour la séance, notamment des films super 8mm sonores, médium de prédilection chez Frichot, qui en aura tourné trente dans ce format difficile à manipuler, à une époque pré-numérique où le montage s’effectuait à même cette petite pellicule capricieuse. La sélection des photographies exposées reflète l’éventail des sujets capturés par l’artiste lors de ses pérégrinations d’ici et d’ailleurs. Le portrait de personnalités – Pierre Falardeau, Denis Vanier, Diane Dufresne, Alain Baschung – comme d’illustres inconnus – orphelins guatémaltèques, saltimbanques hongrois – occupe une place de choix.
La rétrospective Comète helvète – Nicolas Frichot (1967-2016) aura lieu à la Cinémathèque québécoise le mercredi 6 juin à 19 h.
Photo : Pot de colle, de Nicolas Frichot et Étienne Desrosiers (1998)
30 juin 2018