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Cinémathèque Québécoise

Deux chefs-d’oeuvre restaurés à la Fête du cinéma

par Marco de Blois

La Cinémathèque québécoise présentera deux restaurations récentes lors de la quatrième édition de la Fête du cinéma, qui se mettra en branle ce vendredi 12 mai. Ces films, l’un américain, l’autre français, reviennent à la vie grâce au savoir-faire exceptionnel développé par nos collègues voués à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine cinématographique.

Et, dans les deux cas, les résultats sont spectaculaires.

THIRTY YEARS OF MOTION PICTURES (THE MARCH OF THE MOVIES) : CÉLÉBRATION EXALTANTE

En 1925, le cinéma existait déjà depuis une trentaine d’années. De notre point de vue de cinéphile de 2017, 30 ans, ça peut paraître peu ; pourtant, comme le démontre Thirty Years of Motion Pictures, célébration de trois décennies de cinéma, c’est immense.

Commandité par l’industrie américaine du cinéma de l’époque, le film, réalisé par Otto Nelson et Terry Ramsaye, célèbre les fulgurants développements techniques et esthétiques du 7e art alors que celui-ci était à la veille de connaître la révolution du parlant. Les domaines d’excellence, présentés à l’aide d’extraits passionnants, sont vastes : film de fiction, film d’animation, film industriel, actualités cinématographiques, tournage aérien, tournage à haute vitesse, Kinemacolor, Technicolor, trucages en animation de volume, film « d’art », etc. Thirty Years of Motion Pictures contient même un passage de la version de 1914 de The Battle of the Sexes de David W. Griffith, considérée disparue. Le film présente un indéniable intérêt historique.

Cette exaltante entreprise de commémoration a connu plusieurs itérations, le concept étant qu’elle devait être continuellement mise à jour afin de rendre compte des plus récents développements. La première version date de 1925. Celle que présente la Cinémathèque, d’une durée de 96 minutes, a été produite en 1927. Selon Jared Case, du George Eastman Museum, Thirty Years of Motion Pictures aurait même atteint une durée de trois heures lors d’une projection au Carnegie Hall de New York. La dernière projection de cet objet hors-norme aurait eu lieu en 1933.

Le film a été restauré numériquement par le George Eastman Museum de Rochester à partir de neuf bobines nitrates. Quelques éléments provenant d’une duplication sur support 16 mm, réalisée au début des années 1970, ont été utilisés en raison de l’état de dégradation d’une de ces bobines. Au surplus, la restauration révèle qu’en 1925, certains films présentaient déjà une usure sous la forme de rayures et de moisissures. Pourtant, le cinéma était encore, pour ainsi dire, tout neuf !

La projection sera accompagnée au piano par Philip Carli, pianiste attitré du George Eastman Museum.

MAGIRAMA (J’ACCUSE) : PUISSANCE DU TRIPLE ÉCRAN

Le réalisateur français Abel Gance était un poète des techniques cinématographiques. Il y a, dans son travail, une volonté avant-gardiste de créer des expressions nouvelles en faisant appel aux potentialités du cinéma et en redéfinissant le dispositif du spectacle cinématographique.

Gance avait déjà exploré la projection en triple écran avec son célèbre et mythique Napoléon, dont la première version date de 1927. Cela n’a pas été toutefois sa seule excursion dans la « polyvision », comme le démontre spectaculairement ce J’accuse déployé sur trois écrans.

Abel Gance et Nelly Kaplan ont remodelé le J’accuse tourné par Gance dans les années 1930, l’écourtant pour en faire un film de 57 minutes (au lieu des 104 minutes initiales). Cette charge contre les horreurs de la Première Guerre mondiale acquiert ici une force incroyable. Les compositions plastiques créées par le dispositif de projection en triple écran sont étourdissantes : l’action se concentre le plus souvent dans l’écran du centre, tandis que les écrans latéraux ont comme fonction de décupler la puissance du propos. Ultra précise et savamment orchestrée, la combinaison des trois écrans produit des rythmes visuels, des contrepoints et des rimes, qui nous obligent à parcourir du regard toute la surface de cette projection hors du commun. La scène des gueules cassées est un sommet d’émotion et de terreur.

Cette version « polyvisée » de J’accuse était destinée à être présentée dans le cadre d’un spectacle cinématographique – intitulé Magirama – au Studio 28 de Paris. Il est intéressant de noter qu’à ce J’accuse s’ajoutait quatre courts métrages, dont une version tout autant « polyvisée » (remodelée pour le triple écran) de Begone Dull Care, de Norman McLaren et Evelyn Lambart. L’image était triplée, « l’une d’elle étant l’inverse des deux autres », ainsi que l’observait le critique Jean Mitry dans un compte-rendu du Magirama (Revue Cinéma, no 15, février 1957, pp. 78-83).

Le Magirama anticipait le Cinérama. Et il en fut peut-être aussi la victime. Le spectacle ne tint l’affiche que huit semaines.

La restauration a été effectuée à partir d’une copie incomplète appartenant à Nelly Kaplan et d’un contretype tiré des collections de Gaumont. De l’avis de nos collègues du CNC et de Lobster Films, l’opération s’est avérée fort complexe. Afin de simplifier la projection, les trois écrans ont été incrustés numériquement au sein d’un seul écran.

Bref, les 12 et 13 mai, la Fête du cinéma vous propose deux expériences cinématographiques surdimensionnées que seule une cinémathèque peut vous offrir. Il importe d’ajouter que ces copies ont été empruntées grâce au réseau de la FIAF auquel appartient notre institution.


7 mai 2017