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Cinémathèque Québécoise

Doug et Peter, Toronto, 1965

par Marco de Blois

En 1965, David Secter, jeune étudiant de l’Université de Toronto, tourne un long métrage, Winter Kept Us Warm. Le film raconte l’amitié se formant entre deux étudiants de cette université depuis la rentrée jusqu’aux examens finaux : Peter, timide, et Doug, sûr de lui. Bien que cela ne soit pas dit explicitement, cette amitié est de nature « particulière ». De toute évidence, Doug est amoureux de Peter.

Winter Kept Us Warm fait partie aujourd’hui des œuvres pionnières du cinéma LGBTQ au Canada. Le film est d’autant plus étonnant que dans les années 1960, jusqu’en 1969, l’homosexualité était considérée comme un acte criminel au Canada.

Le contexte répressif des années 1960 peut expliquer la discrétion à laquelle s’est tenue David Secter en choissant d’aborder let thème de l’homosexualité sans jamais la nommer. Après tout, au Canada, à l’époque, on emprisonnait ou on internait les personnes homosexuelles. Toutefois, ce que le film a de passionnant est la façon dont Secter façonne le « non-dit » à l’aide du montage, de la mise en scène et de la dramaturgie : les silences embarrassés entre les protagonistes, les regards, les coupes de montage qui surviennent au moment où l’on sent qu’il va se passer quelque chose, les plans sur les corps, les visages.

La scène où Peter et Doug jouent dans la neige est en soi révélatrice. Elle se termine par une étreinte spontanée et affectueuse, immédiatement réprimée à la faveur d’une poignée de main hétéronormative…

Le film obtient à sa sortie un réel succès et bénéficie d’une bonne presse. Étonnamment, le mot « homosexualité » est très rarement employé dans les écrits. Un dossier de presse conservé à la Cinémathèque québécoise, publié peu après la sortie du film, précise : « The theme of homoxexuality is implicit in the story, but never openly stated » ( « le thème de l’homosexualité y est abordé de manière implicite, jamais ouvertement exprimé ») mais ne va pas plus loin dans l’exploration du sujet, qui constitue pourtant le ciment de Winter Kept Us Warm.

Le comédien John Labow, qui interprète Doug, avouait n’avoir lui-même jamais réalisé que l’amitié de son personnage à l’égard de Peter était en fait un amour homosexuel. Ayant contribué à la redécouverte du film, Thomas Waugh écrit : « for him and the rest of the overwhelmingly straight cast and crew, Winter was about heterosexual male friendship » (« pour l’équipe, presque entièrement hétérosexuelle, et lui, Winter était un film sur l’amitié hétérosexuelle entre hommes »).

Si l’on évacue le sous-texte homosexuel, ce film sur une amitié masculine peut apparaître sans intérêt – c’est le panneau dans lequel était d’ailleurs tombé le critique du quotidien Le Droit (« le scénario est des plus banals »). Mais dès lors que l’on comprend le sous-texte, le film séduit par son audace et sa liberté. Tourné en 16 mm, il présente un ton typique de la production de l’époque. Le critique français Louis Marcorelles n’hésite pas d’ailleurs à évoquer Pierre Perrault et Michel Brault pour décrire cette « libération absolue de la technique ».

Winter Kept Us Warm est l’équivalent ontarien de Seul ou avec d’autres, de Denys Arcand, Denis Héroux et Stéphane Venne : deux films à très petits budgets soutenus par des associations étudiantes, tournés, interprétés et produits par des étudiants. Mais alors que Seul ou avec d’autres est un film sympathique bien que décousu, Winter Kept Us Warm détonne par sa rigueur et son intelligence.

Ce premier long métrage de David Secter est aussi le premier long métrage canadien anglais sélectionné dans une section du festival de Cannes (à la Semaine de la critique de 1966). Il est couronné du Prix spécial du jury au Festival international du film de Montréal. Au Canada, il est projeté à Toronto, Winnipeg et Montréal. En 1967, la Cinémathèque canadienne (future Cinémathèque québécoise) propose, dans sa Rétrospective du cinéma canadien, une projection de Winter Kept Us Warm, précédée de Volley-Ball de Denys Arcand et de Very Nice, Very Nice, d’Arthur Lipsett. Elle publie à cette occasion un intéressant dossier sur le film de Secter. Ce qu’on y lit est instructif. Pourtant, jamais le dossier ne précise que Winter Kept Us Warm raconte une histoire d’amour entre deux hommes.

La façon dont les personnes homosexuelles étaient présentées dans le cinéma de l’époque était souvent glauque et misérabiliste. Pensons notamment à Staircase, de Stanley Donen, avec Rex Harrison et Richard Burton. Pour sa part, Winter Kept Us Warm est un film attachant car les personnages y sont lumineux et portés par une énergie positive.


La Cinémathèque québécoise projettera, le mardi 20 mars, à 21 h, une copie d’archives 16 mm de Winter Kept Us Warm tirée de sa collection. Fin connaisseur de l’œuvre, le journaliste et enseignant Matthew Hays viendra présenter ce joyau méconnu.

Photo : Collection Cinémathèque québécoise

 

 

 

 


8 mars 2018