Je m'abonne
Cinémathèque Québécoise

France coquine (films érotiques du début du XXe siècle)

par Éric Le Roy

Si Christophe Bier ne démarre son incontournable et exceptionnel Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques(1) qu’en 1918 avec La sultane de l’amour (René Le Somptier, 1918), c’est qu’il n’a pas inclus toute une production peu balisée par les historiens, les sources étant éparses et incomplètes.

Le cinéma érotique et pornographique nait avec le cinéma, après la photographie et ses portraits de nus, dès 1841 avec le calotype de William Henry Fox Talbot puis les célèbres photographies de Eadweard Muybridge. En 1860, des studios de photographie font et vendent illicitement de la pornographie aux masses qui avaient alors les moyens de se la procurer. Les images étaient également vendues près des gares, par des représentants de commerce et des femmes dans les rues qui les cachaient sous leur robe… La possibilité de reproduire des photographies en masse a contribué à la montée d’un nouveau type de marché, celui de la pornographie. Les films pornographiques font partie des tout premiers films réalisés à la suite de l’invention du cinématographe par les frères Lumière. Ces premiers films sont fortement marqués d’amateurisme et généralement tournés dans des maisons closes, mettant en scène des prostituées et leurs clients. Ces bandes sont également projetées dans ces mêmes maisons closes. Et déjà, les amateurs et collectionneurs gardent, vendent ou conservent tout ce qui touche à la pornographie.

À la suite du développement du cinéma muet au début du XXe siècle, les tournages de films pornographiques sont parfois réalisés en parallèle des films plus conventionnels, l’équipe de tournage utilisant les mêmes décors. Selon certaines réflexions esthétiques, cette conjonction de l’invention du cinéma et de pornographie n’est pas fortuite, mais signale une tentation inhérente au septième art. En effet, le cinéma serait doté d’une puissance de réalisme telle qu’il serait toujours tentant d’asservir autrui à travers l’écran. Le cinéma permettrait de réaliser, par l’image et sa force, le fantasme de l’autre, d’une prévisibilité totale.

Les réalisateurs de ces films ne sont pas, contrairement à une légende tenace, des metteurs en scène très connus du cinéma muet. Il s’agissait souvent d’opérateurs qui filmaient l’acte sexuel sans aucune originalité formelle, avec des intertitres fabriqués à la hâte sur des feuilles de papier ou des ardoises, mais parfois avec plus de professionnalisme en confectionnant de vrais intertitres… dont certains n’étaient pas dénués d’humour. Les actrices de ces films sont généralement des prostituées, rarement des actrices comme il a pu être écrit. Fortement teintés d’amateurisme, ces petits films muets étaient généralement tournés dans les maisons closes, avec les clients et prostituées du lieu, avant d’être diffusés dans les salles d’attente desdits bordels, la pornographie étant interdite en France. Mais on trouve aussi des scènes à la campagne, voire même dans les rues, au risque de se faire surprendre.

Cette production reste très méconnue faute d’archives écrites, à l’exception de quelques brochures ou tracs provenant de bordels, et de documents officiels, principalement de la police. Mais il y a déjà, à cette époque, quelques stars comme Soeur Vaseline, connue pour être la première grande actrice X. Et on remarque, dans beaucoup de ces films, la tentation de la subversion avec très souvent des prêtres lubriques, des nonnes en chaleur, et d’autant plus que les tabous d’aujourd’hui étaient inexistants à l’époque. Des hommes avec des hommes se mélangent aux hommes avec les femmes, parfois un chien s’ajoute aux parties fines. Il n’y avait pas de barrière homo/hétéro. Aussi, beaucoup de codes de l’époque sont détournés pour plus de transgression, pour plus d’excitation : la maîtresse d’école, la femme de chambre, le petit mitron, la gouvernante, le contremaître de la manufacture, les nonnes et les curés. Étudiés et analysés, ces films sont davantage une histoire sociale de la pornographie : ils montrent un côté décomplexé de la vie ouvrière du début du XXe siècle, vu nulle part ailleurs. Leur valeur historique est aujourd’hui largement reconnue plus que leurs qualités artistiques.

Bientôt illégaux, ces films étaient, à partir des années 1940 et pendant de nombreuses années, produits clandestinement par des amateurs. Le traitement du film nécessitait un temps et des ressources considérables avec, par exemple, des personnes utilisant leur baignoire pour le développement des négatifs, le montage des intertitres. Les films étaient alors distribués en privé ou par l’intermédiaire de représentants de commerce bien que la possession ou la visualisation de tels films étaient passibles de prison.

Les collections du CNC proviennent de plusieurs collectionneurs qui possédaient un ou deux titres pornographiques à côté d’une comédie ou d’un documentaire, preuve que les copies de ces films ont pu circuler en dehors des cercles d’initiés. Mais une collection plus importante provient d’un amateur et collectionneur d’œuvres érotiques ou pornographiques qui possédait un assortiment de films sur support nitrate, aux côtés d’objets rares de grande valeur. C’est à sa disparition que la famille a découvert dans une pièce, jusqu’alors close, cet ensemble de grande valeur, et l’a confié à un expert pour la revendre. Devant la dangerosité de la pellicule qui pouvait s’enflammer, le CNC a accepté cette collection privée, et l’a restaurée. Elle est le témoignage exceptionnel d’un courant cinématographique, amateur et professionnel, présent sous d’autres formes dans nos collections.

Eric Le Roy
Chef du Service accès, valorisation, enrichissement des collections à la Direction du patrimoine cinématographique du CNC

(1) Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm, sous la direction de Christophe Bier, Ed. Serious Publishing, 2011.

LE PROGRAMME FRANCE COQUINE SERA PRÉSENTÉ À LA CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE LE VENDREDI 19 AOÛT, 19 h, DANS LE CADRE DU CYCLE UNE HISTOIRE DE L’ÉROTISME.

LES FILMS PROVIENNENT DES COLLECTIONS DU CNC

PROGRAMMATION ÉTABLIE PAR JEAN-BAPTISTE GARNERO

AU PIANO : GUILLAUME MARTINEAU


11 août 2016