Cinémathèque Québécoise

Grand angle sur Benoit Pilon

par Guillaume Lafleur

Le cinéma de Benoit Pilon se concentre sur deux choses : l’attachement à l’espace physique (la géographie, l’habitat) et le lien entretenu avec le passé. Nous avons construit un cycle qui se déroule jusqu’au 27 avril et permet de parcourir la majeure part de son œuvre, partagée entre le documentaire et la fiction. Présentés hors chronologie, les films plus récents de Pilon s’apposent aux plus anciens, ce qui nous permet d’en saisir toute la cohérence.

Un pan du cinéma de Benoit Pilon consiste aussi à poser un regard quasi-anthropologique sur ce qui est d’apparence familier.  Dès ses premières oeuvres de fiction, au moment de terminer ses études en cinéma à l’Université Concordia à la fin des années 1980, il réalise un film étonnant, La rivière rit, récit pratiquement fantastique où un homme perd sa femme et tente de la retrouver de toutes sortes de manières, jusqu’à déambuler à travers un paysage de banlieue fantôme, où l’on pressent l’influence d’Antonioni. Cette approche plastique qui créé une appréhension décalée de l’espace, Pilon va l’investir ensuite dans sa façon d’appréhender le discours de ses protagonistes dans les lieux où il les filme.

Son premier film important, Rosaire et la petite nation (succès lors de sa sortie exceptionnelle à la Cinémathèque en 1997, vingt ans avant qu’on y développe une programmation art et essai) résulte d’une rencontre avec un proche parent âgé qui est allé porter une image sainte en médaillon à sa famille pour la remercier de son soutien en quelques occasions. Dès ce moment, un processus de réflexion s’est enclenché chez Pilon : pourquoi agir ainsi et offrir cette image ? Pour répondre à cette question, il fallait faire un film où l’on irait à la rencontre du parent en question, Rosaire ou encore le curé du village vieillissant…

Plus tard, Benoit Pilon réalise Roger Toupin, épicier variété (2003) avec l’idée simple de voir d’un peu plus près ce qui se passe dans le dépanneur au bas de chez lui. Il y découvre tout un monde et prépare déjà son prochain film sans le savoir puisqu’il y rencontrera aussi Nestor, cet orphelin d’Huberdeau dont le combat vise à reconnaitre ses proches victimes de sévices au même titre que les orphelins de Duplessis.

Entre fiction et documentaire, Pilon a formulé depuis quelques années des représentations avisées de l’espace nordique, en posant au cœur de son jeu le problème de l’abandon. Pour Des nouvelles du Nord, c’est la ville de Radisson, dont l’attachement au projet de la Baie James dans les années 1960 en fait dorénavant un espace fantôme. Dans Ce qu’il faut pour vivre, réalisé sous un scénario de Bernard Émond, le nord devient l’espace mental de la dépossession, où un Innu installé dans un sanatorium de la ville de Québec  fugue afin de retrouver un semblant de sa vie passée. La mise est renouvelée dans le nouveau Iqaluit, où le lieu habité et l’éloignement sont le centre du propos.

Une œuvre d’un bloc et unique, à découvrir.


21 avril 2017