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Cinémathèque Québécoise

Jiří Trnka, maître de la marionnette

par Marco de Blois

Décédé peu après le Printemps de Prague, en 1969, Jiří Trnka a profondément marqué l’art de l’animation des marionnettes. Ce maître, qui a donné à ses figurines une gestuelle gracieuse et fluide, fut aussi – et surtout – un grand metteur en scène. Non seulement a-t-il insufflé la vie à l’inanimé, mais il a habilement utilisé le langage cinématographique pour accroître ce sentiment de vie.

Dans sa jeunesse, Trnka travaille dans un théâtre de marionnettes. Comme il est aussi dessinateur et peintre, c’est par le dessin qu’il fait son entrée dans l’animation. Toutefois, il n’apprécie pas beaucoup la technique des cellulos, qui l’oblige à déléguer des tâches à des dessinateurs. À ce sujet, son collègue Břetislav Pojar ajoute : « En tant qu’artiste, il respectait l’effet et la force du tableau statique, inconcevables dans le dessin animé, qui est condamné, par sa nature même, à être toujours en mouvement ».

Il signe en 1947 son premier film de marionnettes, L’Année tchèque, un long métrage qui illustre diverses activités rythmant la vie rurale. L’adaptation de récits traditionnels et de classiques de la littérature est la voie dans laquelle il s’engage, estimant que les marionnettes, davantage que les acteurs, sont seules en mesure de pouvoir exprimer avec émotion « le noble pathos des tableaux tirés de la mythologie tchèque » (la formule est de lui). Le cinéaste comprend qu’il est illusoire, voire superflu, de vouloir articuler tous les membres de la marionnette. Ses figurines présentent ainsi un visage lisse, une expression neutre, et c’est par la position de la caméra et des éclairages qu’elles expriment leurs sentiments; aussi dit-on de lui qu’il a « intériorisé » le jeu de la marionnette.

Dans les années 1960, Trnka délaisse les grands récits pour se tourner vers la critique de la vie moderne. Le film le plus remarquable de cette période est sans contredit La Main. Trnka s’aventure ici sur le chemin du film politique. Cette fable sur le pouvoir et la dictature du goût peut être perçue, dans un premier temps, comme une critique du socialisme tchécoslovaque, mais elle dépasse ce contexte. C’est un film complexe sur la vanité des élites, sur le rôle et les responsabilités de l’artiste, sur la vie et la mort.

On est souvent tenté de conclure que les successeurs de Trnka (Švankmajer, Barta et autres), associés au surréalisme, ont rompu avec lui. Or, cette lecture hâtive fait fi d’un sens de l’histoire, car au-delà des thèmes et du style, le Alice de Švankmajer (1988), par exemple, présente des ressemblances étonnantes avec Le Rossignol et I’Empereur de Chine (1948) : une imagination débordante, une façon d’habiter l’espace, un recours à la littérature et à des motifs anciens pour aborder des thèmes universels. Il faut dire aussi que dès le début du 18e siècle, en Bohême, les théâtres de marionnettes pullulaient. Les troupes allaient de village en village, se substituant au théâtre d’acteurs, jouant de tout et pour tous les publics, aussi bien des spectacles pour enfants que des Shakespeare. Le pionnier Trnka transposa au cinéma cet héritage national typiquement tchèque et influença plusieurs animateurs.

Aujourd’hui, son imposante filmographie (six longs métrages et plusieurs courts métrages) s’impose comme un modèle de savoir-faire. D’une élégance parfaite, elle épouse l’âge d’or du cinéma.


Photo : Le Rossignol et I’Empereur de Chine

La tournée « Jiří Trnka, maître de la marionnette » est une production de Comeback Company et est organisée par la commissaire Irena Kovarova. Les copies et photos proviennent des Archives nationales du film de la République tchèque. La tournée s’est amorcée à la Film Society du Lincoln Center.


14 septembre 2018