La Cinémathèque interdite
par Apolline Caron-Ottavi Julien Fonfrède
La « Cinémathèque interdite » est une série de programmes doubles (deux films pour le prix d’un), présentés à la Cinémathèque québécoise. Julien Fonfrède (programmateur de la section Temps ø au festival du Nouveau cinéma) et Apolline Caron-Ottavi (qui fait partie de l’équipe de 24 images et a collaboré ces dernières années aux RIDM), discutent ici de ce qui définit la Cinémathèque interdite, de ce qui leur a donné envie de mettre ce programme en place, et des films qui seront présentés à la première séance du cycle, ce samedi 14 février.
Julien Fonfrède : Comment est née la Cinémathèque interdite ?
Apolline Caron-Ottavi : La Cinémathèque interdite est née de l’envie de voir, revoir, faire voir des films qu’on aime.
JF : Sans qu’il s’agisse des films qui composent le panthéon de la culture cinématographique ?
ACO : Les films dont souvent on parle moins, sur lesquels on écrit moins, mais qui sont ceux qui nous tiennent à cœur, nous procurent un plaisir fou, nous réconfortent, nous intriguent. Ceux qu’on a envie de revoir un soir d’hiver, ceux qu’on a envie de partager, ceux qui nous émoustillent ou redonne un souffle à notre envie de voir des films.
JF : Ceux des meilleurs souvenirs d’enfance ?
ACO : Oui, et ceux qu’on aurait voulu voir adolescents, ou encore ceux qui nous libèrent de l’âge adulte.
JF : J’adore !
ACO : Ah oui vraiment ?
JF : Oui, oui, comme s’il fallait redonner du sens à toute une culture populaire qui n’a cessé dans le passé de bousculer les normes et d’oser l’impureté pour mieux jouer avec le cinéma. Non ?
ACO : Oui, des films qui ne passent pas souvent sur un grand écran aujourd’hui, ceux qui seront toujours plus rares, plus obscurs, ou plus refoulés. Des films atypiques, parfois absurdes, souvent jouissifs, des perles de la culture pop, des films de genre ou d’exploitation, des films « mauvais genre »…
JF : Des rencontres cinéphiliques du troisième type ! Du plaisir ! Encore du plaisir !!
ACO : …mais aussi des très bons films là où ne les attend pas. Des films où l’érotisme est aussi naturel que l’amour…
JF : Et l’amour aussi naturel que la peur… Des films où les sous-marins volent aussi ?
ACO : Ah oui ! Et donc des films qui expérimentent, beaucoup plus qu’on ne le pense, car ils se fichent des limites, des conventions, du travail bien fait.
JF : La Cinémathèque française le fait depuis 20 ans, je crois avec sa série « cinéma bis », où ils passent les films en VF.
ACO : Ça ne te dérange pas la notion de VF ?
JF : Du tout. On a tous découvert ces films, à l’époque, soit doublés en anglais soit en français. Surtout en français. Personnellement j’ai découvert des cinématographies entières sans sous-titres quand j’étais jeune. La force de ce type de cinéma est là quand même. Dans un diabolique décalage culturel qui ne s’arrête pas à la justesse d’une phrase de dialogue bien sortie. Le pouvoir de ces films est dans leur cœur et leurs tripes. Le plaisir ne saurait être une question de langage.
ACO : Oh joli ! Voilà, donc, pourquoi fouiller les collections de la Cinémathèque québécoise, et partager les trouvailles entre nous, ensemble, nombreux, côte à côte. Le plaisir est aussi celui de renouer avec la salle de cinéma, et le fait de voir les films entre amis, entre inconnus, entre curieux. Mais attention, il s’agit là d’un rendez-vous cinéphile où il faut savoir oublier ses principes de cinéphile.
JF : C’est quand déjà ?
ACO : Ça commence ce samedi 14 février, pour une thématique « Cauchemars touristiques » avec en première partie le classique du thriller à l’italienne qu’est La fille qui en savait trop (Mario Bava, 1963). La fille qui en savait trop est le premier thriller de Mario Bava, mais surtout ce que l’on peut considérer comme le tout premier giallo, près de dix ans avant l’apogée du genre dont le cinéaste deviendra l’un des maîtres – mettant en place certains de ses grands motifs, notamment dans l’emblématique Six femmes pour l’assassin. Le titre fait référence à Hitchcock, mais l’ambiguïté du réel qui bascule peu à peu dans l’irrationnel, le rapport à la psychanalyse ou encore le fétichisme rappellent également le cinéma de Luis Buñuel.
JF : Il y a beaucoup (BEAUCOUP !) plus que 50 nuances de gris dans ce film… et il sera suivi, pour le même prix, de l’excellent et toujours ultimement angoissé Les révoltés de l’an 2000 (Narciso Ibanez Serrador, 1976) avec tout plein d’enfants espagnols qui font peur aux adultes. Pas mal ! Un vrai film de peur, efficace et implacable. Mais aussi un film apocalyptique très fort qui force la réflexion sur des individus normaux rattrapés par les horreurs du monde. Il se passe dans les années soixante dix. Au regard de l’actualité, il pourrait très bien se passer en 2015. Aussi, malheureusement, en 2040… Un grand grand classique du cinéma espagnol qui a toujours su faire saliver les connaisseurs
ACO : J’approuve ! Toutes les infos sont là, sur le site de la Cinémathèque québécoise :
JF : Et aussi là, sur la page Facebook de la Cinémathèque interdite :
Alors on se retrouve à la Cinémathèque, tous ensemble, pour le plaisir de profiter ! Il faut !
12 février 2015