La Trilogie Bill Douglas
par Fabrice Montal
Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, nous allons présenter à Montréal la magnifique Trilogie du cinéaste écossais Bill Douglas.
Dans les deux premiers films de cette Trilogie, ce sont les tribulations d’un jeune garçon au sortir de la guerre auxquelles nous sommes initiés. My Childhood (1972) évoque des moments de la vie d’un petit garçon de huit ans et de son frère élevés par leur grand-mère dans un village minier de l’Écosse d’après-guerre. Il y a des prisonniers de guerre allemands dans le village et le jeune sera confronté à cet attrait pour l’étranger, comme une première fenêtre de fuite possible de ce monde peint ici en grande grisaille. My Ain Folk (1973) raconte la suite de cette vie. Où l’on voit les deux enfants séparés : l’un partant à l’orphelinat ; l’autre rejoindre son autre grand-mère, et connaitre plusieurs épisodes au cours desquels il va subir la violence des adultes.
La troisième partie, un long métrage intitulé, My Way Home (1978) nous montre l’arrivée à l’âge adulte de cet enfant, envoyé lui aussi à l’orphelinat avant de revenir vivre chez sa grand-mère. Maintenant adolescent, il travaille temporairement à la mine du village, puis chez un tailleur avant de rejoindre l’armée alors stationnée à Suez. Il y fait la rencontre d’un homme qui le révèle à lui-même et change le cours de sa vie.
Mais décrire l’action contenue dans ces films ne sert pratiquement à rien tant ils s’avèrent des objets singuliers. Il a été parfois souligné que les films de Bill Douglas possèdent une facture poétique unique dans le cinéma britannique, inspirés autant par les vertus du montage dialectique, que par les atmosphères oniriques que l’on retrouve dans les films de Buñuel ou de Bergman qu’il admirait particulièrement. Bill Douglas était aussi un grand collectionneur de machines de cinéma et de pré cinéma. Il connaissait la mécanique des images et les origines concrètes du langage cinématographique.
Le cinéma de Douglas est manifestement sous l’influence, d’ailleurs avouée, d’une épiphanie bressonienne (modèles amateurs choisis pour leurs «textures» expressives et physiologiques, histoires de résistance aux conflits, d’âpreté d’un monde rural miséreux, etc.). Mais Douglas est peut-être moins un moraliste qu’un militant social qui aborde le cinéma comme un vecteur d’évasion par l’image, donc de libération, comme un opium du peuple nécessaire.
«Peut-être la plus belle chose jamais portée sur un écran» écrivait en 2016 Olivier Père lors d’une présentation de cette trilogie sur ARTE. Il est vrai que l’on ne peut qu’être touché par une sorte de ravissement sourd à la vue de ces images. De sa façon aussi particulière d’aménager le point de vue pour y faire vivre les corps et les visages qu’il a choisis, loin de tout dictat d’un spectacle industriel, afin d’aborder sans artifice et sans pathos une situation vécue qu’il désire partager.
Il conviendra donc de vérifier l’emballement de Père pour ces destins d’orphelins, lors de leur projection en deux temps, samedi 17 et dimanche 18 février, à la Cinémathèque.
12 février 2018