LA VERSION INTÉGRALE DE HEN HOP, DE NORMAN McLAREN, RETROUVÉE
par Marco de Blois
Figurant parmi les premières œuvres importantes de Norman McLaren, Hen Hop (1942) est à l’origine un film promotionnel, conçu pendant la Deuxième Guerre mondiale pour divertir les Canadiens tout en les sensibilisant à l’effort de guerre. Plus spécifiquement, le public visé était celui des fermiers de Prairies. L’ONF a produit plusieurs de ces films de propagande « douce » à l’époque, mais Hen Hop est l’un de ceux ayant particulièrement bien vieilli.
S’il porte la marque de l’affection de McLaren pour les oiseaux, il démontre également, avec éloquence, que la vie animée n’émerge pas d’un dessin réaliste, mais du mouvement. En elle-même, la poule est schématique. Mais, grâce à l’enchaînement des photogrammes, grâce aussi à la musique entraînante de danse carrée et de valse, le volatile acquiert une vitalité communicative. Dessiné sur pellicule translucide, Hen Hop illustre à merveille le célèbre principe mclarenien : Animation is not the art of drawings that move but the art of movements that are drawn.
Une fois la guerre terminée, McLaren estime qu’un passage de 41 secondes n’est plus pertinent, car il fait explicitement référence aux Emprunts de la victoire. Plutôt que de produire un nouveau contretype afin de pouvoir diffuser le film en version écourtée et préserver l’original, McLaren prend la décision de carrément couper le négatif. Hélas, cette portion du négatif est disparue à jamais. Hen Hop ne fut alors plus jamais connu qu’en version tronquée.
Un mot d’explication. À la fin, une partie manque. Il s’agit bien d’un film de propagande en temps de guerre. Le film est construit sur des danses carrées. Au début, il y a un « caller ». On le retrouve à la fin mais au lieu de dire les mots habituels, il donne le message patriotique. Après la guerre, nous avons décidé de supprimer cette partie du film. (Norman McLaren à la revue Séquences, 1975)
La lettre « V » et le mot « save » qui apparaissent vers la fin de la version courte sont des artefacts de la version intégrale — le « V » signifiant ici « Victoire ». Sans la référence explicite à l’effort de guerre canadien et aux Emprunts de la victoire, leur sens peut sembler obscur. Or, McLaren ne pouvait retirer le passage contenant le « V » et le mot « save » sans considérablement démembrer le film.
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L’exemple des versions multiples de Metropolis de Fritz Lang, redécouvertes ici et là, enseigne que les miracles sont toujours possibles.
Le miracle de Hen Hop prend naissance chez un collectionneur montréalais, Jean Bélanger, qui accumula chez lui des centaines de bobines de film. M. Bélanger avait tenté de confier son imposante collection à des centres d’archives. À la suite de son décès, sa fille, Carolle Bélanger, veilla à ce que les plus belles pièces se retrouvent en de bonnes mains.
Si certains titres se retrouvaient déjà dans d’autres archives, et ne pouvaient ainsi être considérés comme des raretés, deux, au moins, nous apparaissaient de réels incunables du cinéma canadien. D’abord Les funérailles de Sir Wilfrid Laurier (1919), de Léo Ernest Ouimet, qui était considéré comme disparu. Le film a été restauré par la Cinémathèque québécoise en collaboration avec le chercheur Louis Pelletier et le laboratoire L’Immagine Ritrovata de Bologne, en Italie. Il a été mis en ligne ici.
Et l’autre pièce fabuleuse était la version originale de Hen Hop sur support nitrate…
Spécialiste de l’œuvre de Norman McLaren, le cinéaste Donald McWilliams connaissait l’existence de cette copie. Le chercheur Louis Pelletier, qui s’est intéressé à ce fonds, en avait lui aussi fait la découverte. Après que McWilliams eut authentifié la copie, la Cinémathèque, en collaboration avec les chercheurs Louis Pelletier et Jean-Pierre Sirois-Trahan, prit la décision, en 2016, d’en faire l’acquisition.
La précieuse copie nitrate fut numérisée à l’Office national du Canada, permettant une restauration du court métrage. On remarquera que les passages rouge vif de la copie nitrate étaient, dans la version écourtée, d’une couleur tirant vers l’orange.
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La version tronquée a une durée de trois minutes, tandis que la version intégrale fait 3 min 41 s. (Cette durée exclut le logo animé de l’ONF et le préambule déroulant que McLaren avait ajouté à ses films de début de carrière.) Dans la version intégrale apparait plus clairement le jeu narratif de « l’œuf ou la poule » probablement désiré par le réalisateur. En effet, au début, le film présente un œuf duquel émerge quelques secondes plus tard une poule. Dans la version intégrale, le cycle se poursuit quand cette poule pond un œuf à son tour. L’œuf exécute alors une danse jusqu’à ce que la poule ressurgisse à l’écran, avant d’être éjectée du cadre quand arrive le mot « fin ».
Les images supprimées par McLaren font explicitement référence à l’effort de guerre et aux Emprunts de la victoire : signes de dollar, banques, etc. C’est la partie « patriotique » du film. La voix du chanteur, entendue au début, revient dans cette partie et les mots soutiennent plus nettement le « message ». Toutefois, d’un point de vue rythmique et chorégraphique, Hen Hop apparait, dans sa version longue, plus cohérent, plus clair, plus fluide, et il n’a pas, surtout, la particularité de se terminer en queue de poisson.
McLaren avait coupé le négatif à une époque où le souci de préservation et de pérennisation n’était pas aussi vif qu’aujourd’hui. Il est possible aussi que l’auteur de Blinkity Blank ait tout simplement voulu réécrire son histoire, ajuster sa filmographie. La découverte de cette pièce magnifique dans la collection Jean Bélanger nous permet de mieux mettre en contexte ce film majeur, d’apporter des éléments nouveaux à l’Histoire de l’animation tout en rendant hommage au maître de l’animation canadienne.
La partie supprimée par McLaren commence à 3 min 2 s et se termine à 3 min 43 s. L’image coiffant ce texte en fait partie.
https://www.nfb.ca/film/hen-hop-mclaren-integral-version/
16 juin 2020