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Cinémathèque Québécoise

L’appel du rêve et de l’histoire. Les films muets de Dovjenko.

par Fabrice Montal

Alexandre Dovjenko (1894-1956) appartient à ces cinéastes dont l’œuvre semble, dès les premières images entrevues, avoir servi de référence à de nombreux autres. Véritable poète du 7e art, il fut aussi un cinéaste politique offrant au pouvoir l’intensité et la virtuosité de ses mises en scènes inspirées.

Ce nationaliste ukrainien devint l’une des têtes de file du cinéma des Soviets dans les années 1920-1930. Prisé par Staline, il a contribué à l’établissement de studios majeurs en Ukraine. C’est ainsi que beaucoup le considèrent comme le père du cinéma ukrainien.

Il va parvenir à la notoriété avec ses trois premiers longs métrages Zvenigora (1928), Arsenal (1929) et La Terre (1930), dans lesquels s’entremêlent des méditations sur la relation entre l’individu et le macrocosme et des séquences de propagandes qui glorifient l’avènement des Soviets. Ces trois films forment un ensemble surnommé la Trilogie ukrainienne.

On retrouve, dans Zvenigora et Arsenal, le personnage révolutionnaire allégorique de Timoch, combattant les traditions féodales et bourgeoises, qui annonce dans l’histoire de la filmographie soviétique les figures plus emblématiquement staliniennes qu’incarneront, quelques années plus tard, les héros Tchapaiev (1935) des frères Vassiliev et Alexandre Nevsky (1938) de Sergei Eisenstein.

Nous savons aussi que dans les mois qui ont précédé son décès en 1956, Alexandre Dovjenko travaillait sur un film intitulé Le poème de la mer qu’il n’aura pas eu le temps de compléter. Le film sera terminé par sa compagne Ioulia Solntseva en 1959. Il désirait parachever ainsi une autre trilogie qui aurait inclus aussi Zvenigora et La Terre, ceux qu’il considérait comme ses films les plus audacieux, odes à la terre et au peuple ukrainiens avec lesquels il avait tenté de bouleverser quelque peu les habitudes du rapport au temps dans le langage cinématographique.

Dovjenko travaillait donc sur deux fronts.

En remplissant le carnet de commande des « commissaires du peuple », il fournissait des films d’action exaltant les combats d’instauration des soviets. Avec ceux-ci, il se permettait des jeux de montages qui n’avaient rien à envier à ceux d’Eisenstein. Pensons, entre autres, à cette scène d’Arsenal où le montage alterné entre un train qui va dérailler et un accordéon qui semble doté d’une vie propre crée un suspense remarquable où on ne sait qui, des hommes, des machines ou de l’instrument de musique, survivra à la fin. Nous avons affaire ici à la construction d’un langage neuf qui relève d’une véritable dramaturgie du mouvement.

En décrivant la culture agraire traditionnelle, il se permettait des touches d’une poésie visuelle inattendue qui l’ont fait être comparé à Virgile ou aux poètes bucoliques latins. C’est indubitablement ce Dovjenko là que l’on croit retrouver chez Sokurov. D’un Alexandre à l’autre, Dovjenko est un artiste capital qui a influencé et influence encore son cinéma. Il ne faut pas chercher très loin pour établir des correspondances évidentes entre certains plans de La Terre de Dovjenko et certains autres de Mère et fils (1997) de Sokurov; même obsession pour les cycles de la vie, même recherche d’un expressionnisme de poses recueillies, lorsque ce ne sont pas carrément, si semblables, les traces de rafales de vents sur un coteau d’herbes folles. Chez l’un comme chez l’autre, les humains sont mortels mais la beauté du monde, qu’elle leur serve d’écrin, de couffin ou de cercueil, leur survivra toujours

La rétrospective de la presque totalité (il ne manque qu’un seul titre) des films muets de Dovjenko à la Cinémathèque québécoise propose de fort belles copies 35 mm avec intertitres français que nous conservons dans notre collection. Elle a lieu du 3 au 24 mai 2019.


1 mai 2019