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Cinémathèque Québécoise

Les archives en deuil

par Robert Daudelin

Robert Daudelin a été directeur de la Cinémathèque québécoise de 1972 à 2002. Il rend ici un bref hommage à trois importantes figures du monde des archives du film.

La génération des fondateurs (Borde, Comencini, DeVaal, Langlois, Ledoux, Privato, Toeplitz) fait déjà partie de l’histoire du mouvement des archives du film; ces derniers mois, ce sont plusieurs de leurs héritiers (ma génération!) qui nous ont quittés à une bien triste cadence. Personnellement, je dois beaucoup à tous ces collègues; plusieurs furent des amis; tous, y compris ceux qui viennent de nous quitter, ont été pour moi des conseillers précieux que je retrouvais toujours avec bonheur.

Ib Monty, disparu en juin dernier, avait dirigé les archives du film du Danemark pendant 37 ans. Ancien critique de cinéma, animateur d’une revue de premier plan dans les années 50, son nom est identifié à la redécouverte de l’œuvre de Carl Dreyer. C’était un homme discret et généreux, toujours prêt à apporter sa collaboration aux projets de rétrospectives. Sous sa gouverne la cinémathèque de Copenhague (et son extraordinaire centre de documentation) est devenue une « référence ».

Michelle Aubert, disparue en novembre, avait d’abord fait carrière en Angleterre. Responsable des collections afférentes (photos, affiches) du British Film Archive, elle y avait acquis une expertise qui faisait autorité internationalement. Devenue adjointe du directeur du BFA en 1986, elle rentre en France en 1989 pour prendre la direction des Archives françaises du film du Centre national de la cinématographie, poste qu’elle occupa jusqu’è sa retraite en 2007. Sous sa gouverne Bois d’Arcy connut un développement majeur : création du « Plan nitrate » qui permit de sauver quelque 12 000 films; catalogage exhaustif des films Lumière; rapatriement dans leurs pays d’origine de nombreux films conservés en France; activités de collaboration intense avec les archives du monde entier, y inclus la Cinémathèque québécoise fréquemment bénéficiaire de cette généreuse collaboration. Cette ouverture sur le monde emmena logiquement Michelle à la présidence de la Fédération internationale des Archives du film, fonction qu’elle remplit avec son enthousiasme habituel de 1995 à 1999. Grande professionnelle, Michelle Aubert était restée passionnée, ne se privant pas d’opinions tranchées sur les films récents qu’elle continuait à voir très assidûment. C’était, comme on dit familièrement, « une femme de caractère » : il fallait être en forme pour débattre avec elle. Mais son amitié était aussi solide que ses arguments!

Peter Konlechner, mort en décembre, était un personnage moins flamboyant mais dont le rôle dans l’histoire des cinémathèques en fût également un de premier plan. Co-fondateur avec son ami Peter Kubelka de l’Osterreichisches Filmmuseum en 1964, son nom, inséparable de l’autre Peter, devînt le symbole même de la culture cinématographique en Autriche. La programmation dynamique, autant qu’originale, de la salle, en plein cœur de Vienne, apporta aux Peter une réputation internationale. Les innovations techniques (disposition des fauteuils, contrôle minutieux des projections), chers au cœur des deux complices, font également partie des précieux acquis qu’ils ont légué à leurs successeurs. Peter Konlechner fut également le trésorier avisé de la FIAF de 1970 à 1973 et il siégea de nouveau à son comité directeur de 1997 à 2001. Sa passion folle du cinéma n’avait d’égale que sa connaissance encyclopédique en gastronomie : chaque voyage était pour lui l’occasion de découvrir un nouveau cinéaste et… un nouveau plat!


23 Décembre 2016