Louise en hiver
par Marco de Blois
L’année 2016 a été mémorable pour le long métrage d’animation produit (ou coproduit) en France. La tortue rouge, La jeune fille sans main et Ma vie de Courgette brillent par leur personnalité forte. Louise en hiver bénéficie lui aussi, en France, d’un succès critique et public. Son réalisateur, Jean-François Laguionie, est, comme on l’a écrit ici et là, un « vétéran » de l’animation en France. Ancien assistant de Paul Grimault, il a derrière lui une œuvre volumineuse amorcée au début des années 1960 : huit courts et cinq longs métrages. Il n’est pas un « monument », mais un auteur discret et persévérant pratiquant le cinéma d’animation depuis plus de 50 ans. Émouvant, Louise en hiver est ce qu’il faut bien appeler une œuvre de maturité.
Dans une petite station balnéaire de France (qui pourrait être en Bretagne ou en Normandie), les vacances de l’été tirent à leur fin. Une vieille dame manque le dernier train de la saison pour retourner à la maison. Retenue malgré elle dans ce coin de pays, elle se prépare donc à y vivre de longs mois. Esseulée dans cette bourgade désertée, elle bénéficie d’une étonnante liberté : la ville et la plage sont littéralement à elle. Passant à travers ce long hiver jusqu’au retour des vacanciers, elle livre ses réflexions et se remémore des moments de jeunesse. La station balnéaire, qu’elle parcourt de long en large, devient son espace mental.
Louise est une vieille dame un peu bourrue, mais dont le grand cœur ne fait aucun doute. La comédienne Dominique Frot lui prête sa voix grave. Jean-François Laguionie a donné au personnage une forme un peu enveloppée et l’a doté de gestes lents. On devine, dans la démarche de Louise et dans sa posture, le poids des âges et des souvenirs. Ceux-ci lui reviennent en mémoire, au détour d’un plan, comme l’écume des vagues. Louise a été une jeune fille comme les autres. Elle a connu de beaux étés en Bretagne, elle a vécu des tourments. Et elle possède quelques zones d’ombre. C’est un personnage d’une humanité profonde, que Laguionie présente avec tendresse et bienveillance.
Il serait abusif de dire que Louise en hiver est un suspense psychologique. Pourtant, le récit captive. Il présente un touchant personnage de vieille dame; un personnage en apparence simple, mais dont la destinée révèle d’étonnantes facettes. Le dévoilement de fragments de mémoire invite le spectateur à découvrir l’étendue du paysage intérieur de la protagoniste.
La situation vécue par Louise est à ce point inusitée qu’elle force le spectateur à s’interroger sur le niveau de réalité de ce qu’il regarde. La ville dame est entièrement laissée à elle-même sans que personne semble s’émouvoir de sa disparition. Le long hiver est étonnamment clément, voire estival par moments : Louise n’a jamais froid. Elle rencontre un chien qui lui parle. À la onzième minute du film, elle s’endort et fait un rêve. Est-on bien sûr du moment où finit celui-ci?
Jean-François Laguionie soutient que Louise en hiver est un film intime et personnel, ayant plongé dans des souvenirs familiaux pour l’écrire. Modeste, il évite, dans les interviews ayant été accordées jusqu’à maintenant, d’en livrer sa propre interprétation, préférant inviter le spectateur à faire la sienne. Pour Laguionie, regarder et comprendre un film est aussi une expérience intime et personnelle.
La constance et la cohérence de son travail sont remarquables. Laguionie a un tempérament de cinéaste, ce qui ne l’empêche pas, par exemple, d’aborder la fabrication d’un film à la façon d’un peintre. Louise en hiver laisse en effet deviner le geste du peintre cinéaste, notamment grâce aux textures des environnements naturels qui occupent une place importante dans le film. La gamme chromatique rappelle les cartes postales anciennes tirées au bromure (d’ailleurs évoquées dès le générique de début). On pense aussi au travail du peintre breton Mathurin Méheut, qui compte parmi les principales sources d’influence de Frédéric Back, sans oublier les toiles bretonnes de Gauguin.
Adaptation d’un conte écrit par le réalisateur dans les années 1980, ce film se distingue par l’habileté de son récit et sa puissance d’évocation. Dans son ouvrage Cartoons, l’historien de l’animation Giannalberto Bendazzi rapporte que Laguionie disait, au sujet de son premier long métrage Gwen (Le livre de sable), qu’il voulait « réaliser un long métrage doté de la qualité artisanale d’un court métrage d’auteur ». Cela s’applique aussi entièrement à Louise en hiver, dont une partie de la production s’est déroulée à Montréal. Plasticien hors pair, Laguionie pratique son métier avec retenue, sans jamais succomber à l’esbroufe ou à l’étalage de virtuosité, et accorde un soin particulier à la façon d’articuler une narration. Louise en hiver est un film attachant, aussi attachant que le réalisateur lui-même. Et une incontestable réussite.
Louise en hiver prend l’affiche ce vendredi 3 février à la Cinémathèque québécoise.
1 février 2017