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Cinémathèque Québécoise

Maya Deren, corps oniriques

par Fabrice Montal

Maya Deren. Lorsque que l’on se penche sur le corpus riche de cette artiste hors-norme, on se rend compte, dès le premier abord, lorsqu’on se confronte à des œuvres expérimentales comme Meshes of the Afternoon (co-réalisé par Alexander Hammid), l’inachevé Witch’s Cradle ou le magnifique At Land, que l’influence surréaliste, assumée, est secondée aussi par un souci de symbolisme de métaphores poétiques visuelles que l’on retrouvera telles une obsession jusque dans son documentaire posthume Divine Horsemen. Il y a assurément chez Deren la volonté de donner un sens caché, que seuls des initiés pourront comprendre, à un récit en apparence venu des rêves, sur lesquels se calque l’écriture cinématographique. À cet égard, elle partage ce goût pour l’occultisme avec un autre de ses contemporains, le cinéaste de la côte ouest Kenneth Anger qu’elle aura côtoyé dans les années 1940.

Chez Deren, il y a aussi un intérêt sans cesse renouvelé pour le corps, les harmonies et les mouvements, la grâce et l’expression corporelle, qui va mener la cinéaste à expérimenter dès le début des années 1950 avec la caméra en la dotant d’une chorégraphie complétive à celle de danseurs qu’elle enregistre. Cela débutera dans l’atelier qu’elle donnera à la Toronto Film Society en 1951, avec Graeme Ferguson (futur cofondateur d’IMAX) comme assistant, qui donnera l’œuvre Ensemble for Somnambulists, véritable esquisse du film The Very Eye of Night qu’elle réalisera sept ans plus tard.

Deren fut un personnage marquant de la vie artistique new-yorkaise des années 1940-1950. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir dans ses génériques les noms de Peggy Guggenheim, Marcel Duchamp, Anaïs Nin, Gore Vidal ou John Cage. Elle a été aussi l’ambassadrice des danseurs américains comme Rita Christiani, Talley Beatty ou Chao Lichi, pour lesquels elle a réalisé des films à l’esthétisme soutenu.

L’idée de proposer cette rétrospective en deux vendredis était de faire une introduction à l’œuvre d’une cinéaste marquante dans l’histoire du 7e art aux États-Unis. Mais aussi de démontrer que sa perception du cinéma témoignait d’une approche multidisciplinaire qui l’amena non seulement à réfléchir plus que d’autres de ses contemporains sur le fait de créer en cinéma, mais aussi que le cinéma pourrait servir un autre but que le sien. D’ailleurs, ses essais littéraires foisonnent. En véritable chercheuse, sous le conseil du couple Margaret Mead et Gregory Bateson, elle a entrepris cette somme d’un film et d’un livre sur les rituels du vaudou haïtien qui eurent pour titre Divine Horsemen : The Living Gods of Haiti, véritable date dans l’histoire de l’anthropologie visuelle.


9 février 2017