Miryam Charles / Marie-Ève Juste x 4
par Samy Benammar
Miryam Charles
Le cinéma de Miryam Charles naît entre les vagues qui s’effondrent contre les rives haïtiennes et dont le ressac résonne jusque dans les remous du Saint-Laurent. Qu’il s’agisse de Second Generation ou d’Une Forteresse, ses courts métrages sont habités par la question du mouvement et de la distance qui existe entre les territoires. Dans le premier, c’est une correspondance qui essaye, en vain, de trouver du sens dans le chaos des images qui superposent les temps : ceux des ancêtres dont la cinéaste porte l’héritage et ceux des contemporains québécois avec lesquels elle entre en dialogue. Souvent, la parole de Miryam Charles vient s’ajouter aux images mais là où l’on pourrait s’attendre à obtenir une explication pour être guidés à travers les surimpressions et les textures de la pellicule 16mm, les mots ne font qu’obscurcir le propos. Ils refusent la linéarité, déconstruisent les imaginaires en fragments de vie troubles. C’est sans doute l’aspect le plus déroutant d’un cinéma qui refuse les étiquettes, ne s’affirme ni documentaire ni expérimental, injecte des éléments de fiction tout en capturant des instants de vie plutôt que des scènes.
Une forteresse joue particulièrement avec ces frontières aux définitions multiples en nous plongeant dans l’onirisme d’un conte où les images documentaires servent de support à un questionnement profondément politique. Le grand motif du spectre – autant sa disparition que son apparition – prend vie dans les courts métrages présentés à la Cinémathèque québécoise. Visionner successivement les œuvres de Miryam Charles met en évidence une façon de faire du cinéma qui rejette la clarté et accepte pleinement la limite commune à l’image et à la parole : toutes deux lorsqu’elles apparaissent se soumettent au danger de la disparition.
https://www.cinematheque.qc.ca/fr/cinema/programme-miryam-charles/
Marie-Ève Juste
D’abord une interaction : le regard de Jeff posé sur le corps de Nydia lorsqu’elle danse ou bien les yeux baissés de Tom, silencieux tout le temps d’un repas où sa peau noire semble le tenir à distance de Montréalais complaisants. La violence des films de Marie-Ève Juste prend la forme de gestes et de mots insignifiants, elle se fait sans éclat et c’est pour cette raison qu’elle en est d’autant plus révoltante.
Avec Jeff, à moto est un film d’attente. Celle de Nydia assise sur un escalier de Montréal ou de sa banlieue, espérant voir apparaître ce fameux Jeff qui la dévisageait et devait la rejoindre un soir. Mais Jeff ne viendra pas, et personne (ni elle ni nous) n’aura droit à une explication. Il faut se contenter des doutes et reprendre son chemin en se demandant si c’est la peur de l’autre, la différence culturelle ou la xénophobie qui ont court-circuité une rencontre qui devait donner son sens au film.
La réalité a parfois l’air d’être hors de contrôle. Elle échappe aux protagonistes de Marie-Ève Juste qui la subissent en silence. Ainsi, Tom reste assis et dévisage ces “blancs” qui rient aux éclats et s’insurgent du comportement des touristes occidentaux qui se déguisent en Maasaï dans les hôtels de leurs séjours tout inclus. L’un d’entre eux finit par s’exclamer “c’est dégueulasse” tandis qu’ils reproduisent collectivement, et sans s’en rendre compte évidemment, une structure de domination autour de la table où la première parole adressée à la seule personne racisée de l’assemblée sera : “Tom peux-tu aller chercher une autre bouteille ?”. Plage de sable manque un peu de subtilité et son dénouement qui répond à une violence raciale par une violence sexiste produit un malaise à la limite du supportable. C’est cependant, cette maladresse volontaire de la cinéaste qui force à réfléchir, sans compromis, l’insupportable réalité qui traverse son œuvre.
https://www.cinematheque.qc.ca/fr/cinema/marie-eve-juste-x-4/
24 juin 2021