Je m'abonne
Cinémathèque Québécoise

Tahani Rached : Le chant du réel

par Fabrice Montal

Dès ce jeudi 23 août, la Cinémathèque propose un cycle consacré à la documentariste Tahani Rached.

Arrivée jeune au Québec, à l’âge de 19 ans, cette Libano-Égyptienne a rapidement embrassé la société québécoise avec ferveur et curiosité. Troquant des études en art pour l’engagement social et le travail communautaire dans les quartiers défavorisés, une offre de collaboration avec une équipe de vidéastes new-yorkais de passage à Montréal, dont faisait partie Robert Kramer, lui ouvre un monde qu’elle ne soupçonnait pas.

Après quelques bandes au Vidéographe et des films tournés pour des syndicats, après avoir côtoyé l’équipe de la revue Format Cinéma et les ateliers de recherche sociale de Roger Frappier à l’ONF, elle se met à travailler à un projet personnel autour de la condition des travailleurs immigrants au Québec. Sujet qui avait peu ou pas été traité jusqu’alors, du moins pas avec le regard critique avec lequel elle aborde cette réalité dans Les voleurs de job (1980). Nous ouvrons le cycle avec une restauration numérique de ce film indépendant, le seul qu’elle ait réalisé en dehors de l’ONF au Québec et qui était devenu difficile d’accès.

À la suite de ce film remarqué, après avoir participé au Confort et l’Indifférence de Denys Arcand, elle est engagée à l’ONF. Elle y passera 22 ans.

Notre cycle est conçu dans une perspective historique, passant généralement à travers cette filmographie en progression chronologique. Nous pouvons malgré tout regrouper ses films en quelques catégories d’intérêt afin d’avoir un autre point de vue sur le parcours original de cette documentariste.
Il y a, dès l’abord, cette boucle avec le premier long métrage réalisé à l’Office et le dernier qu’elle va consacrer à la cause palestinienne. Autour de la survivance des Palestiniens au Liban, elle tourne À Beyrouth, à défaut d’être mort (1982) dans lequel, par une facture très libre, plusieurs séquences d’animations signées Pierre Hébert sont incluses. Elle réalise en 2004, Soraida, une femme de Palestine, sur les résistantes ordinaires en terre palestinienne, marquant aussi la fin de sa collaboration avec son directeur photo Jacques Leduc qui l’a accompagnée tout au long de son aventure onéfienne.
Au milieu des années 1980, elle va consacrer trois films aux Haïtiens. Tout d’abord, comme une prolongation des Voleurs de job, elle signe Haïti-Québec sur la communauté haïtienne de Montréal en 1985. Puis, par intérêt, elle va s’intéresser à l’organisation de la vie politique haïtienne après la chute du régime Duvalier avec deux films marquants : Bam Pay A! – Rends-moi mon pays! (1986) et Haïti, Nous là! Nou La! (1987).

La chanson a toujours fait partie des documentaires de Tahani Rached. Elle sert souvent de véhicule à l’expression d’une situation sociale donnée pour laquelle les mots simplement dits manquent de mordant ou paraissent moins forts que s’ils riment sur une musique porteuse. Ce phénomène se retrouve amplifié dans deux films marquants de sa filmographie : tout d’abord l’inoubliable Au chic resto pop de 1990, et À travers chants de 2000.

Dans la mémoire de l’œuvre de Tahani Rached, Au chic resto pop demeure un film unique, non seulement par le fait que les témoignages des personnages gravitant autour de ce resto d’Hochelaga-Maisonneuve sont en majorité chantés, mais aussi parce qu’il magnifie cette approche extrêmement humaine qui caractérise son cinéma et qui en fait sa force ; la cinéaste tissant des liens profonds avec les intervenants de tous ses films. Au chic resto pop a reçu au moment de sa sortie un accueil plein de ferveur. À travers chants, s’il est consacré à une chorale d’Outremont, est surtout une occasion pour elle d’aborder la diversité culturelle de la société montréalaise et de montrer comment elle fonctionne à travers le portrait de cette chorale d’amateurs venus de tous les horizons.

Rached a aussi abordé le milieu de la santé avec deux films. L’un consacré aux médecins qui luttaient contre le sida dans les années 1990, Médecins de cœur (1993), l’autre au personnel infirmier de l’urgence d’un hôpital de la rive sud de Montréal, l’hôpital Pierre-Boucher. Si le premier part du local pour embrasser le problème à une échelle internationale, le second, Urgence! Deuxième souffle (1999) s’attarde plus aux conditions de travail des travailleuses de la santé confrontées à un manque de ressources flagrant et à l’épuisement professionnel. Voir ce film, aujourd’hui, nous permet de comprendre à la fois le chemin parcouru depuis cette époque, mais aussi de percevoir les problèmes qui survivent sans être réglés.

Un autre film, le plus ancien projet de la cinéaste à vrai dire, elle l’a réalisé au Caire dans son pays natal. Intitulé simplement Quatre femmes d’Égypte (1997), il nous met en présence de quatre femmes dont l’amitié est née en prison. De croyances et de convictions politiques différentes, elles partagent le fait d’avoir été arrêtées et incarcérées par Anouar El Sadate. Toutes aspirent au changement de régime et à la fin des régimes autoritaires en Égypte.

Elle reprend contact lentement avec son pays natal. Elle y retourne, neuf ans plus tard, en 2006, après avoir quitté l’Office national du film du Canada, après 22 ans, à la suite d’une restructuration. Elle s’installe en Égypte aussi parce qu’elle y a trouvé un producteur qui croit en ses projets. Elle en réalisera trois jusqu’ici, toujours aussi engagée politiquement et socialement, en débutant par un sujet qui lui tient à cœur, les filles de rue qui errent la nuit au Caire.

Ce sera Ces filles-là, documentaire troublant qui lui vaudra d’être sélectionnée par La Quinzaine des réalisateurs lors du Festival de Cannes en 2006. Elle poursuivra avec des films plus politiques qui parlent de révolution, de société, d’histoire et de politique égyptienne. Voisins, en 2009, portant sur un quartier résidentiel du Caire qui est une allégorie de l’Égypte contemporaine, loin du politiquement correct et des clichés, qui se double d’une réflexion sur les obsessions sécuritaires dans le monde d’aujourd’hui. Son dernier film, De longue haleine, se consacre à la révolution égyptienne telle qu’elle est vécue de l’intérieur des familles, dans l’intimité des individus qui composent le cœur du peuple. Ces trois derniers films n’ont jamais été distribués au Québec. C’est donc une occasion unique de les apprécier et sans doute de les découvrir, en présence de Tahani Rached.

Elle a toujours un pied à terre ici. Elle revient chaque année en terre québécoise. C’est lors d’un de ses retours que nous l’avons conviée à cette rétrospective que nous lui offrons en août et septembre 2018.

 


23 août 2018