Virus tropical de Santiago Caicedo
par Marco de Blois
Il est enthousiasmant que l’un des longs métrages d’animation les plus stimulants des dernières années vienne d’un pays où la culture de l’animation est encore jeune : la Colombie. Si, dans les festivals internationaux, on assiste depuis peu de temps à un certain essor de l’animation colombienne (du côté des courts métrages, évoquons Lupus, de Carlos Gomez Salamanca, et Coffee Break, de Mauricio Cuervo et María Cristina Pérez), voici maintenant qu’un étonnant long métrage nous arrive de ce pays : Virus tropical, de Santiago Caicedo, d’après le roman graphique de Power Paola.
Appartenant à la fois à la chronique et au journal intime, le film raconte le passage de l’enfance à l’adolescence d’une jeune fille, Paola. À mi-parcours de cette vie se produit un bouleversement : la famille, établie à Quito, en Équateur, déménage en Colombie, à Cali. Le talent de Santiago Caicedo, respectant ainsi l’essence du roman autobiographique de Power Paola, est de se tenir loin de l’affect et du pathos. Ainsi, si la famille de Paola est dysfonctionnelle, cela est traité sans recours à la caricature ou aux effets dramatiques. Les expériences auxquelles s’y adonnent les jeunes (drogue, sexualité) sont traitées sans être surlignées inutilement. Par ailleurs, le contexte du récit permet au réalisateur de dépeindre une réalité sociale, parfois difficile, mais toujours avec ce regard un peu oblique, empreint d’un humour discret : le sentiment de supériorité des Colombiens de Cali par rapport aux Équatoriens, la précarité financière, la violence liée au trafic des stupéfiants. Le grand intérêt de ce film est de nous présenter avec franchise le parcours de Power Paola, et, ce faisant, de bon nombre de Colombiens et d’Équatoriens.
Il y a des rapprochements à faire entre le style de Santiago Caicedo et celui de Power Paola : un sens de l’à-plat, un traitement particulier de la profondeur et de la perspective, un noir et blanc très tranché et une esthétique composite proche de la gravure. Il faut d’ailleurs ici indiquer que la dessinatrice a collaboré au film en en signant la direction artistique. Mais Virus tropical est aussi, définitivement, un film de Santiago Caicedo. En effet, le réalisateur s’est approprié la matière de Power Paola pour la sculpter. Le style qu’il développe ici, rehaussé par le Scope, est une transposition faite avec élégance et invention, parfois teintée d’éléments fantastiques. En conséquence, Virus tropical apparait contaminé par la nature de la bande dessinée. Par exemple, la mise en scène intègre la notion de case, de l’image fixe et le découpage de la bédé et met en évidence la ligne, fut-elle simple trait ou arabesque. En ce sens, Virus tropical se présente comme un exemple convainquant d’adaptation réussie de la bédé au grand écran, un film qui est à la fois cinéma et roman graphique, qui en possède le ton et la forme.
Les personnages truculents, les interactions parfois vives entre eux, les situations embarrassantes, leurs joies, leurs peines, leur grandeur d’âme et leurs petites fourberies, constituent le sel de Virus tropical. Et il y a aussi ce regard sur une société, ses travers et ses tabous. Ce regard teinté d’humour narquois laisse découvrir un tableau que nous observons avec autant d’empathie que de jubilation. Le film a remporté de nombreux prix, dont une mention du Jury cinéphile au Festival de cinéma de la Ville de Québec. Il prend l’affiche du volet art et essai de la Cinémathèque québécoise après son passage aux Sommets du cinéma d’animation.
À découvrir à la Cinémathèque québécoise dès le 1er février.
24 janvier 2019